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14/09/2015

Coexistence

On leur dit  : vous devez réduire la part des coûts fixes et c'est une phrase qui équivaut à la pression de l’eau, bien au-delà de la barre des cent mètres, où l’on respire à peine et uniquement dans le but de s’exécuter grâce à une mécanique de stratégie générale qui s’enclenche et qui fonctionne d’autant plus harmonieusement que l’exécutant y a tour à tour l’espérance du prévenu, la peur du coupable et la charité sourde et aveugle du croyant. Chaque décision prise est un maillon de fer crocheté sous la peau, tous reliés entre eux par un cordon d’or de bourse, tendu, actionné par… l’air du temps. Les rêves carnivores sont pour bientôt, d’autres étranges, des silhouettes raides, sans ombres, des cous fixes. Exactement au même moment d’autres rêvent jusqu’à l’épuisement physique sur une route d'un sordide millénaire que leur vie va enfin devenir meilleure tandis qu’à chaque extrémité de cette route d’autres rêvent qu’un Roi revient défendre un défunt royaume. Exactement au même moment moi je rêvais que nous nous tenions la main, légèrement, du bout des doigts. Au matin Théophile Gautier écrivait toujours : "On ne se fait pas un bonnet de coton d’une métonymie, on ne chausse pas une comparaison en guise de pantoufle ; on ne se peut servir d’une antithèse pour parapluie".*

 

*(Mademoiselle de Maupin, Préface)

 

 

Doppler

Accélération du temps
et de plus en plus de temps passé à…
lire, relire ;
marcher sans devoir rentrer bientôt ;
ne rien faire ;
faire l'amour sans jouir, seulement faire l'amour et dormir.
Je ne me sens pas dépassée,
seulement complètement hors-jeu avec mes lenteurs de compréhension,
mes rêveries sans fin
(parfois l'attente n'a plus aucun charme puisque d'avance je la sais sans fin).
À la recherche d'un chêne indifférent…
tous le sont.
Un particulièrement…
au milieu d'un grand champ d'herbes hautes.
Les feuilles du pommier d'ornement
sont devenues grenat,
ma peau est rose,
l'horizon demeure bleu, vif.
Un bain de lumière où fixer l'instant.
Beau temps pour s'allonger.

 

 

Non lieu

Personne n'est obligé de s'allonger
dans l'herbe haute,
pour rêver,
sans contrainte ni plus de force.

Mais comme il faudrait pourtant savoir s'arrêter
et s'allonger, pour ne pas tomber plus bas que ce non lieu
tout en voûte céleste et fins piliers de serpentine.

[J'aimerais l’offrir, garder l'accès des champs, assourdir le monde].

On dirait que c'est pour rêver,
pour dormir un peu ou juste somnoler
sans faire exprès
à cause de la chaleur de juillet.

Mais la pensée claire
et le cœur très beau
devraient pouvoir aussi retrouver là
l'évident écrin des sérénités
secrètes.

[Parfois je voudrais m'en défaire
de toute cette laine
et de toute cette soie
qui m'ont été données
sans partage ;
cette opulence de l'âme qui semble décupler la vie.
Croire toujours,
ne guérir jamais].

S'allonger pour oublier
l'horizon qui est toujours trop loin
et respirer
d'avoir enfin posé un peu ses fardeaux.
Accepter de repousser son inquiétude
à tout à l'heure,
pour envisager l'existant,
les déserts et les gouttes
que l'on reçoit si follement
heureux.

[Renoncer, la chère idée si mal comprise dans le marécage sans fin des pensées qui pullulent].

Accepter d'attendre,
dans ce désert,
en étant au seul refuge possible : ce non lieu partagé.

Puis oser arrêter la balance.

 

ASSEZ !

Il aurait fallu s'arrêter avant, tant la douleur était forte. Au début n'importe quoi la faisait oublier, même parler, chanter, mais aux silences le chuintement insidieux se faisait entendre auquel s'ajouta bientôt la démarche bancale et les douleurs multiples ; pour compenser, la hanche se tordit et le dos se courba ; cet équilibre précaire se faisait avec le bruit de plus en plus marqué de la jambe qui se traîne, discordante, et ce fut un temps une présence comme une autre. Tout devenait malaisé mais cela guérirait bien, allez. Vinrent les distances ; les franchir ou la tentation de l'enfermement. Les remèdes de bonne femme qui s'échangeaient aux rares visites n'étaient pas adaptés à ce corps tout entier redressé un moment à la force de l'âme, alors que l'âme revenue seule s'effondrait en un minuscule point qui oscillait à grand fracas dans le corps dévoré. À sa chute, l'espoir instantané qu'une heureuse perte de conscience éteindrait l'insupportable acmé de douleur ne se réalisa pas. Tout fut gris sale avec l'envie de vomir ; puis s'éclaircit, alors elle vit les oiseaux, ils sifflaient dans le ciel si haut, comme de jolis papillons noirs entre quelques petits nuages blancs. Elle mêla sa voix aiguë aux oiseaux mais le cauchemar continuait, à se découvrir seule à cette heure de l'après-midi où chacun œuvrait au loin. Les mauvaises postures passées, les contorsions diverses ne facilitaient pas l'examen et le bilan probable de ce qui se cachait sous les confortables épaisseurs hivernales. Tant de crispations et de douleurs confondues, rassemblées dans une irréductible solitude. Le petit point d'âme enflait avec les larmes et la colère inutile. Il fallait se redresser, se découvrir, enlever ce qui lui cachait la blessure, ce qu'elle fit en pleurant à petits bruits mais en s'aidant du souvenir des bons gestes, et pour ne pas trembler en puisant à ses plus belles sources. La béance rougie et mêlée de terre l'effraya mais dans sa colère contre elle-même, elle soutint le regard ; elle crut s'infliger un châtiment en détaillant la blessure mais tout semblait si fragile et finalement si normalement faible qu'elle se calma. Elle découvrit l'os avec sérénité, touchant à elle-même comme elle ne l'avait jamais cru possible. Cette possibilité lui donna les forces nécessaires.