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31/08/2018

Hermerance

Il n’y a pas d’heure précise en ces temps favorables, les jours, eux les premiers, vagabondent sans interruption d’un espace à l’autre, le matin ainsi se lève jusqu’à l’ouest le plus lointain d’un repli noirâtre de cellier exigu où les rangements fossiles, les humidités spontanées fleurissant aussitôt le vide des caves, peuvent s’offrir en chair inouïe à la pyrogravure de quelques grains jaunes et incandescents, parvenus jusque là en dansant dans la lumière, et fêter ainsi des retrouvailles élémentaires. Car ce sont les entraves qui ont été levées, toutes ces mesures contre-obsidionales pour empêcher le froid, le chaud ou l’inconnu, de la prendre, elle, Hermerance. C’est le temps des échanges et des solubilités totales, sa maison un vague hallier aux propriétés pas assez différentes pour n’être pas absorbée comme le reste, les grands arbres, un chemin de terre ou l’immobilité confuse d’une épeire diadème, dans un mouvement continu et redistribué au gré d’un souffle d’air, ses pas, elle, pour des jours entiers une démarche habitée du grand chêne, foulant le drap du chemin, d’un trait piquant le mot, nourrie pour des jours de lait d’oiseau.

02/01/2016

Hantise

 

Votre hantise au coquelicot
sa soie noire et rouge soupir,
de sa bouche le souvenir
L’amour, la dévotion au rouge
L’alcool qui vous rachète
des champs de ses coquelicots
et tout ce noir à votre âme
tout ce qui noiera votre âme.

 

 

 

 

 

 

N’est pas coutume

La petite annonce disait :
Île à vendre,
1 hectare, sur la Dordogne.
Nombreux arbres anciens,
2 noisetiers.
Berge aménagée.
Ni eau, ni électricité.
Prix négociable.
(Il me revient cette lecture au sujet du Siècle d’Or hollandais, les marchands qui finissaient toujours par l’emporter.)
Folie,
le propriétaire ne pourrait-il changer ?
Crues régulières,
couvées et leurs cygnes qui en barraient l’accès,
puis les impossibles nuits consécutives
l’emportèrent.

Et maintenant ?

Invraisemblable
préoccupation de femme,
l’élégance
de cet homme.
Parler de cette séduction-là,
muette,
réprouvée en ces temps.
(Renaissance italienne cette fois, Castiglione s’il m’en souvient – Renaissance vous dis-je, un homme enfin, pour la codification de toute bienséance.)
Oh c’est vous, dit-il, s’arrête.
Il doit savoir prononcer
sprezzatura,
sinon le lui quémander, poliment.
Je vous…
le bel émoi,
un jour de pluie bien sûr.

Ensuite ?

Oh… rien,
un champ de cailloux,
et du travail pour mille ans.
Rivière, chaos, cairn,
comment dire ?
tout un Caillois déversé en vrac
chez moi.
(L’homme a des Lettres et en sourit.)
Au mot galet,
hasardé,
Son regard change.
Un peu de prudence,
nous y reviendrons ;
c’est pour mille ans.


Et après ?

La suite, curieuse,
est ainsi faite.

 

 

Perle I (or rose, déclarations, emblèmes, tableaux perdus)


Passion pour un homme d'étoffe pure
qui rêve de foudre
à la vue des ablutions de gris
par lesquelles la pluie de mars, en savants voiles carrés,
caresse le dos du paysage.

Solsequia, infatigable
remontée des chemins en croix
avec au fond de l'âme
les racines pieuses du silence.
Tout lui est sel
et eau.

La giboulée le long de la route, dit-elle,
a fait les platanes dressés à la corde ;
ivoire poli au galet, enduit vert amande de l'autre,
sur un mur grisé, velours mat.
Devant derrière
par le soleil pris dans mes cheveux,
la lente effusion de son sourire.

Tout en mars est pensée exprimée
de lumière solaire,
reprise
qui se dépose partout en longues gouttes d'or.

De la fougue des noisetiers tortueux
aux capuchons encore posés sur toutes les couleurs,
diverses diffractions du sentiment amoureux
existent à travers son seul regard.
Préférence pour le rose animal qui se dessine.

En matière de perles tu vois,
toutes sortes de mots cascadent sur la langue
qu'il faut savoir embrasser.

 

 

Perle II


Dans les forêts à contre-clair et les jardins rendus sauvages,
être pour toujours
cette petite moniale qui prononça ses vœux
et écrivait des signes au ciel. Au bel étang, à ses reflets,
à l'aplomb du soleil entre corymbe et lys.

Quand l'esprit du monde dansera,
en corolle sous la lune,
par ses lueurs de perle rouge, être touchée.

D'un signe à l'autre disparus au monde,
au bel étang, à ses reflets,
c'est bien encore, toujours, l'aimer.

 

LA LETTRE


Bien sûr je suis étonnée de votre lettre, je vous savais gardien jaloux de vos souvenirs mais je ne pensais pas que vous cultiviez les regrets pour autant. Ainsi il y a un trouble entre vos lignes claires, je ne sais pas pourquoi, peut-être parce qu'il n'y a aucune véritable question.
Maintenant je vis dans une petite vallée par là, où plusieurs villages de l'adret se succèdent, où d'années en années ils se poursuivent et se poussent, alors des maisons empiètent sur les jardins et des jardins soustraient du champ aux champs. Pour la plupart l'évidence est de ce côté au soleil, ce côté de moindre pente et plus large bande, d'une opulence claire qu'il suffit de prendre comme on s'assoit dans un fauteuil confortable et ciré d'hier, où pas un clou de tapissier ne manque, comme si la nature l'avait abandonné dans sa retraite pour que les hommes s'y installent. Et dans toute cette belle lumière on est enfin soulagé, presque repu, propriétaire de la pensée évidente que l'on est bien où il le fallait pour compenser enfin un peu toutes les douleurs de l'existence.
A-t-on à faire à l'ubac, ce mur végétal, cette terre de déshérence que le soleil cache mal tous les matins — parce qu'elle l'éclaire déjà trop, on a le plaisir mauvais de fouler l'herbe inutile, de couper trop de bois, d'y aller déverser en tas sa vieille clôture ou se décharger d'un compost trop acide. Peu de maisons, qui ne sont même pas toutes habitées, le long de la route étroite dont le premier et seul bitume est devenu vert de mousses et d’herbes, mais chacune semble bâtie comme un port au milieu d'une ombre qu'elle sait éternelle. Les murs sont énormes, le matin ils font comme des épaules qui soutiennent la montagne pour traverser tête haute la terre. Puis dans la nuit ce sont les lumières intérieures qui signalent que l'on sait toujours où l'on va ensemble.
Vous savez maintenant où penche mon cœur, où il vit et pourquoi il bat. C'est un choix passionné de raison, le premier qu'il me fut véritablement donné de faire quand je n'avais su jusqu'alors que me noyer un peu puis respirer à grandes goulées au milieu d'un tourbillon que je prenais pour de la passion et qui n'était pas grand chose d'autre que nos bras éperdus tirant et repoussant les eaux qui revenaient plus fortes, toujours plus en désordre, lorsqu'elles avaient claqué indifféremment aux parois toutes proches de nos certitudes respectives. Il faut être taillé pour sa jeunesse qui est un bloc brillant, y entrer, le porter et puis choisir si l'on va se disperser avec les beaux morceaux qui gisent à nos pieds ou bien garder la nouvelle masse sombre qui était cachée sous la masse. J'ai choisi la masse, j'ai laissé les morceaux brillants, dont ces quelques clichés qui sont des captations idéales, de belles surfaces, presque des mensonges ; des images diffuses d'un Éden qu'il fallait trouver (qui le premier de nous deux a menti à ce sujet ?), cette ivresse tout le jour, entretenue par la peur d'être perdue, ivre à ne jamais pouvoir comprendre ce qu'il y avait tant à perdre : une jeunesse à faire être. La mienne vous captivait, j'ai dévoré la vôtre à belles dents. Rire, pleurer, flamboyer à toute heure, et même vous tenir d'un seul regard sans respirer.
Qui faut-il accuser de cette fin ? Le temps qui passe. Je me souviens du jour où j'ai réalisé que ce n'était pas la passagère que vous emportiez en promenade et promesse de toujours mais seulement la splendide caravelle que j'étais. J'ai su que j'avais tous les pouvoirs et je n'en ai rien fait, car on ne règne pas sur un royaume que l'on a déjà perdu. Notre jeunesse ne nous appartient pas, elle est à ceux qui l'ont connue et aimée et qui s'en nourrissent encore. La mienne fut vôtre, gardez précieusement toute sa lumière puisqu'elle vous éclaire encore, moi c'est son ombre qui m'accompagnera toujours. Sans cette ombre aujourd'hui je ne saurais vers quelle lumière je me rends.

 

UNE AUTRE LETTRE

On peut savoir toucher d'une pensée légère, dans la parenthèse d'un après-midi (toute la lumière d'un après-midi en cascade sur les draps fins) ce qui n'est plus à soi ; le laisser à qui de droit. La palette du tumulte des sentiments, les douleurs vivifiantes et tous ces états d'esprit du cœur sans fin qui vous ont occupé si sérieusement, à la manière d'un explorateur qui fait dépendre sa vie d'un improbable filon d'or, mais plus sûrement pour beaucoup d'entre nous comme de simples paysans qui auraient pu mourir de chaque mauvaise récolte de caresses ; ou en promeneur proclamé éternel, près de fontaines taries, mourir d'amour (nous ne sommes morts de rien de tout ce qui nous fit croire que nous n'y survivrions pas). L'allant de la démarche amoureuse ne s'est pas estompée sur le pavé de la rue, les cœurs qui se cherchent se succèdent et l'on suit du regard en souriant, tout à fait attendri, la permanence de cette cruelle et si changeante beauté, être la proie et le chasseur des autres (tandis que l'on est soi, blotti entre des draps blancs). Je sais qu'il suffit que j'ouvre ce livre ou un autre pour revoir mes tempêtes effarantes (nées pourtant dans cet être incertain et timide que l'on fut), fulgurances humaines, face ostentatoire du monde, captivante. Les leçons du baroque au haïku sont possédées. Je sais voir et comprendre dans le présent de cette belle, en un seul mouvement d'esprit, tout mon passé ; partout il gît ainsi éparpillé, les clous rouillés encore pointus comme le peigne d'écaille qui brille ; je laisse maintenant leur devenir me surprendre. Hors cette parenthèse merveilleuse, le monde a fondu, sa masse lourde s'est retirée loin du silence. Se découvrir maître-débutant, de soi-même, en cet état qui ne nécessite rien d'autre que de savoir vivre au gré des certitudes intimes, qui l'on aime et l'aimer, sans trop en dire, et demander moins encore, de cette nouvelle manière enfin apprise. Entre les draps blancs et fins (l'être-chair), fussent-ils rêvés, nous enchantent les traits, les gestes et l'accord du mouvement. Délivré des flammes, savoir que ne plus brûler ne signifie pas s'éteindre, mais éclairer d'une autre source.

 

FULL

Avez-vous connu ces heures du dimanche ? Ces heures de vague ennui en fin d'après-midi, quand on prend conscience qu'il reste tout juste le temps pour un jeu, ou une dernière promenade tant qu'il fait encore doux, ce genre de pensée raisonnable qui cache bien la plupart du temps une forte envie de fuir l'engrenage des jours suivants. 
Ô douleur — et tout s'est arrêté une première fois. D'attraper la vision, si brève, que la pensée a eu du dessous des cartes — ce mince château grenu, son parc d'amulettes, le domaine des jerseys cousus, quand hier à des kilomètres vous aviez les deux pieds sur le tapis de jeu (Dieu de Rey, ses hectares de champs filigranés en vert), naît la sensation affolante des jours passés qui se confondent tandis que demain n'a pas encore réussi à semer sa poudre levante.
Tout s'arrête une seconde fois. Alors s'ouvre dans l'âme la porte d'un désert frémissant, un océan de pavots bleus, la canopée de la forêt de la Double, n'importe quelle immensité pourvu qu'elle fût consolante et dénouée. L'esprit ne suit plus tout à fait la lettre, s'agace de pouvoir croire encore résoudre le moindre problème humain, un dimanche à cinq heures. Cinq heures cinq, un ennui brûlant, du regard qui pénètre si facilement jusqu'au squelette des choses et son cœur, en trop de sucre. Un dégoût bientôt, que l'on ne s'autorise pas visiblement et votre humeur qui s'en ressent vous hérisse de quelques pointes auxquelles vont s'accrocher les pensées que l'on avait enfouies de force.
Il y a du sel tout à coup qui a été jeté du haut de la tour d'ivoire, je suis si faible, pourquoi ? Puis brusquement, pardon, je vais me remettre à l'ouvrage. À l'atout maître des pensées je tends mon front pour la pensée d'un baiser au front de reine, ainsi rendu.

 

 

PHASE : ÉQUILIBRE POUR MONDE OSCILLANT

Avant, entre nos maisons, il y avait une grande haie vive parsemée de passages aussi vastes que des portiques. On s'allongeait dans l'herbe dessous pendant des heures, il me racontait des histoires, il disait les travaux à accomplir, il projetait ma prochaine visite, il promettait l'éblouissement et sa voix qui me faisait chavirer je l'entends toujours dans le secret de ma tête. Maintenant il ne dort presque pas, un peu cependant, à chaque fois qu'il le peut, mais surtout pas lorsque la nuit s'en va et avant que le jour soit complètement levé, ces trop courtes heures où il cherche à recueillir le plus possible la faible rosée du matin. Tant d'arbres sont morts, les haies vives, les vivaces et l'herbe, en premier. Dans la grande serre les étagères sont couvertes de lourdes caisses, toutes d'un même modèle : de fins tiroirs superposés, dans chaque tiroir des casiers, dans chaque case des graines. D'autres étagères sont remplies de livres, de registres, tous très bien tenus, répertoriant le contenu des grandes caisses ; les noms, les lieux et les modes de culture. Il a fermé l'angle ouest de la serre, en a fait une petite serre dans la grande serre, un réduit, une minuscule survivance où il amène à maturité toutes les plantes qu'il peut encore trouver ou celles qu'on lui apporte. Le moment venu il ne garde que les graines, les bulbes, les rhizomes et la plante morte, elle, se décomposera, nourrira d'autres plantes qui rempliront d'autres cases. En attendant. Sa voix chuchote à mon oreille les noms des mondes perdus.