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19/06/2020

Margelles n°2 Été 2020 Bruno Guattari. Éditeur

 

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Bruno Guattari. Éditeur  

18/05/2020

Margelles n°1 Printemps 2020 Bruno Guattari. Éditeur

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Bruno Guattari. Éditeur 

 

 

 

 

29/09/2015

Bref II

(...) Elle avait fini, elle mit son panier en équilibre sur sa hanche et s’arrêta au passage près de moi. Elle eut ce geste étonnant après m’avoir tout à l’heure soufflée sur place en si peu de mots, elle posa sa main fraîche sur ma joue et me dit en regardant l’endroit : là, c’est la place de Vénus. 
Je l’ai regardée grimper les trois marches de sortie du lavoir, traverser la place vers le haut, disparaître dans une rue. Plusieurs fois il m’a semblé qu’elle allait se retourner (qu’elle devait se retourner, ne pas me laisser en plan), j’aurais couru la rejoindre, lui promettant d’être à la hauteur de l’évocation de ces trois mots qui occupaient maintenant tout mon esprit. Mais elle ne s’était pas retournée et j’ai pris ma place préférée n’importe où, sur une marche ou une autre, à suivre des yeux le trajet d’une goutte imaginaire dans l’eau qui tombait du canon floral, jusqu’au dernier millimètre visible de moi à l’opposé du bassin carré. La goutte disparue, j’en prenais une autre. J’ai ainsi nagé longtemps sous la surface brassée de houle en tempête. Le soir il m’a beaucoup plu de trouver cent manières d’amener la conversation de mes hôtes autour du lavoir et sa Place de Venise. J’en garde le souvenir indistinct d’une mémoire multiple qui pépie, curieuse d’elle-même autour des autochromes réelles et imaginaires, tandis que des voix sûres posaient des faits du passé, un destin changeant de couronne et quelques détails des révoltes qui pavent l’Histoire. Le tableau fut bientôt parfait jusqu’à la saveur griotte du marbre de Campan, et un vénitien et ce marbre au village, un vénitien vous parlez, c’est tout le village qui aurait choisi ce rouge pour égayer les ardoises et la neige. Il est écrit dans les archives ouvrez les guillemets la couleur rouge sera joyeuse aux femmes, tant que l’on se plaît toujours à dire et à redire rouge griotte de Campan avec ce génie de la langue entre deux verres et deux rires. J’imaginais qu’au milieu du désordre classique de l’Histoire une joie profonde avait emporté ce choix, entre les ardoises et la neige d’une montagne de silence. Mais est-ce que l’un d’entre eux, ou bien tous voyaient comme moi que le bassin de marbre formait au miroir d’eau le cadre d’un luxe étrange, que l’usage domestique et l’usure lente voilaient avec grand soin. Ou bien était-ce moi qui projetais des lumières tout autour du lavoir pour éclairer indirectement le mystère que je n’osais pas mettre au centre de notre conversation. C’était le vertige de l’heure avancée dans la nuit quand une incroyable intimité se coule entre les êtres, quand on dit que le vernis social explose, que les barrières sautent dont on se repent le lendemain, mais à moi il me paraît que pour certains d’entre nous c’est l’enfance retrouvée, dans son intuition pure des alliances nécessaires. Quand le silence est traversé d’évidences sues vitales de part et d’autre. Le vélin de l’Histoire c’est les bêtes égorgées et ceux qui goûtèrent le mystère de l’être. Qui sait ? autrement que pour incliner le destin selon quelque croyance invérifiable. Je préfère celle de mon enfance, l’amour fou qui court entre les lignes de la vie, servir, choyer, au besoin faire rempart, lequel est pensé selon nulle autre définition plus sereine qu’être là entre deux états du monde tant qu’il est besoin de les protéger l’un et l’autre, deux royaumes côte à côte, cœurs ethnocentrés qui survivent au musée des apparences et des preuves constructives. Je garde pour moi la fièvre mouvante des frontières, cette stupéfaction attendrie de l’Histoire, son ferment secret, le lieu de son miel de contrebande où les méchants sont dépourvus de mains, de bouche, d’yeux pour mal faire, destinés à ne savoir jamais lire aucune lumière dans l’ombre.
Qui sait Vénus dans son enfance autrement que sous la forme d’une cohésion ante-minérale.
Qu’importe Vénus aux frontières, c’est son front altier que l’on s’y rappelle. 
J’ai dû dormir ensuite, en lutte savamment inutile autour de la place de Vénus, ce virus contracté en altitude, ce motif de boléro. La fatigue est une ivresse, couvrez-moi, ensevelissez-moi de vos vues, je me couche cependant dans votre intelligence en toute conscience. Je parlais aux montagnes, l’eau du lavoir me répondait sans cesse. Un instant j’ai failli renoncer à aller à la fenêtre mieux entendre les voix réelles qui montaient de la place. Des amoureux jouaient la nuit au lavoir : tous les traits inscrits dans mon esprit se rejoignaient : elle traversa nue le bassin devant lui qui l’attira d’un geste à ses côtés. Ils étaient assis de part et d’autre de la margelle de marbre, bustes embrassés. 
Je savais tout, je pouvais dormir.
 

24/09/2015

Bref (I)

Les gentils petits papiers que je fournis au journal du coin (textes pourtant calibrés mais retaillés à la hache dans le sens d’une efficacité qui m’échappe, et même si je dois confesser que l’arc elliptique ainsi obtenu vaut son pesant d’or absurde, tellement poétique parfois… (où nous en sommes tout de même !)), mes articulets me valent chaque été une sortie de deux jours à la rencontre de mes alter ego dans notre petit genre et surtout, une rencontre avec de vrais journalistes, afin « d’apprendre d’eux ». Tout ça n’a presque aucun intérêt bien entendu, sauf celui d’aller visiter, bien vite en solitaire, des endroits par chez moi que je ne connais pas. Cet été, une grosse bourgade des P.O., un rien là-haut assez haut pour que mes oreilles bourdonnent et qu’une faible sensation de vertige, ou son souvenir ? me fasse craindre devoir redescendre et rentrer. Puis non. Bref. Deux jours ce n’est pas lourd pour arpenter un lieu. D’un autre côté, on répète bien sans y penser de ces choses que l’on a lues ou entendues, comme : je prends cette route tous les jours, j’en connais tous les détails de la chaussée et chaque brin d’herbe, alors que, mensonge, on ne voit rien vraiment, on a tôt fait de fondre l’architecture fourmillante de la réalité naturelle en un mur laqué, que l’on ordonne d’un point de départ à un point d’arrivée. La route peut faire cinq, dix ou quarante kilomètres (de fait là, à peu près vingt-trois kilomètres enchevêtrés entre A*** et P***), on n’en connaît que son habitude, rien de plus et l’habitude convient très bien. Bref. J’avais donc deux jours pour éprouver leur route, leurs chemins, leurs rues, la lumière à chaque heure (trop simple, il faisait très beau), pour trouver les bonnes personnes et les personnes bonnes, accéder aux archives officielles, recevoir plutôt qu’obtenir la confidence de certaines cachées, descendre dans une cave ou deux et/ou grimper jusqu’à certains greniers, faire l’intéressante ou la discrète dans quelques salons bien choisis, échapper au moins à un lit, ce qui va toujours plus vite que je ne parviendrai à détacher de moi la corolle de pensées puissantes et désordonnées dont je ne sais pas faire l’économie, tant quelques minutes peuvent recéler de matière sentimentale explosive. Cette corolle alors comme une longue traîne de plumes douces ou un flot de serpents, toujours fixée par un regard, du moins je l’imagine, dans mon dos qui s’éloigne sans me retourner. Bref. J’ai passé une première après-midi splendide en me perdant adroitement lors de la visite en groupe, j’ai cavalé au pied des remparts (en riant comme une folle, tant qu’à faire), pris le chemin Fontvieille et musardé à plat entre les prés (littéralement, car la seconde fenaison m’a servi d’édredon), ensuite j’ai suivi le bruit de l’eau à ras de terre, où, surprise : le ruisselet qui chantait fort n’avait pas la rude jeunesse d’une montagne pleine d’éclats de roche mais courait à toute vitesse sur du velours de mousse, une sorte de cascade en coussins verts et rebondis (un vent tempétueux dans un boudoir fermé, des amoureux fous cependant.) Puis j’ai repris le chemin de la citadelle par le plus haut, en grimpant un vaste pan de terre aride traversé de murets d’une régularité qui me serrait le cœur. La terre était ponctuée de blocs de grès rose dont je ne m’explique pas l’élégance massive, ou peut-être était-ce parce qu’ils étaient posés au milieu de ces longues lignes de pierres, étrange compagnie. L’absence de sens et le sens perdu se partageaient l’espace. Le tout couronné de rouvres et de ciel bleu. Là j’ai pleuré. J’ai pleuré d’embrasser tant de ciel, pour les combinaisons de la nature que je ne faisais qu’entrevoir, pour tout ce que je ne comprends pas autant que pour ce qui m’était soustrait, caché, réservé à d’autres. Bref. Je suis revenue par la porte principale, où je n’avais pas remarqué qu’il était indiqué deux choses intrigantes : le lavoir et la Place de Venise. Un lavoir est toujours intéressant et une Place de Venise en pleine Catalogne française, c’est intéressant aussi. Au lavoir, il n’est pas si rare de nos jours de trouver quelqu’un y rincer de grosses pièces, et c’était le cas. À partir de là, ça devient compliqué.
Sobre courtoisie ; moi qui trempe mes bras dans l’eau, elle qui me dit en souriant que la chaleur va durer jusqu’à mardi. Puis je me suis assise et elle m’a dit sèchement : faut pas s’asseoir là. Tellement brusquement, comme agressive tout d’un coup. Cette impression d’avoir commis une faute grave, ce sentiment du sacrilège, m’habitent encore, même maintenant que je sais. Oh la teigne, la bique, la méchante femme ai-je pensé à ce moment-là à cause de son retournement incompréhensible, et son silence qui durait, et moi qui étais pétrifiée, qui me reprochais de penser des méchancetés en même temps que je faisais le tour de ma blessure tout en cherchant des raisons évidentes que j’avais dû rater, mais qu’est-ce que ça pouvait bien faire que je m’asseye, elle était bien assise elle. Je suis restée debout, perdue de contenance, de celle qui ne trompe personne. J’ai failli partir, fuir en emportant ma honte d’avoir commis une grave faute, de celles qui vous font déchoir. Puis vint un sentiment, oh ce sentiment… déchirant, la certitude qu’un interdit m’avait été énoncé pour une raison qui me parut simple et claire : je n’étais pas d’ici. C’est là qu’il me vint à l’idée de regarder l’endroit où je m’étais à peine assise : le lavoir carré était bordé d’une complète margelle de marbre (griotte de Campan ai-je appris depuis), ancienne, c'est-à-dire partout adoucie de creux d’usure, d’un rouge terni, à certains endroits voilé, presque gris comme si des braises avaient été enfouies sous la cendre. Idem l’endroit où je m’étais assise, des creux appuyés, pas  plus. Sans doute qu’elle me vit regarder l’endroit précis, sans doute. Elle avait fini, elle mit son panier en équilibre sur sa hanche et s’arrêta au passage près de moi. Elle eut ce geste étonnant après m’avoir tout à l’heure soufflée sur place en si peu de mots, elle posa sa main fraîche sur ma joue et me dit en regardant l’endroit : là, c’est la place de Vénus
(…)