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11/03/2021

Stations (2)

Station XI

 - fromager * -

L’homme semble entier dédié à sa tâche. 
De son œil intérieur il attend la surprise
une rencontre sûrement, ou, entre deux prises,
l’insistance du familier paré de l’étrange.
Là-bas un arbre s’impose, un jour après l’autre,
ses racines en hélice fichées en terre,
nageant immobile, 
(délice imaginatif – bruissant de fables –  
sacré dans leurs beaux souffles noirs)
l’homme conquis, peut-être, par l’esprit de légèreté
sans même le savoir.
* Ceiba pentandra dit le fromager

 

 

 

 

 

 

Station XII

- orme -

I


Enchante-moi encore, noble malin
au milieu des bois noirs, jaunes, juste parentèle
encore à casser sa coquille d’écorce, pralin 
d’où jaillira la bourrasque printemps Cybèle,
l’orme, déjà tout en vert cru, fruit à l’œil rouge 
avant l’heure, arrête donc avec ton ordre petite,
chacun va son cours, recompte les étoiles, bouge
en beau silence là où tu n’es point contredite :
l’orme, noble bois vert cru en son fruit à l’œil rouge.

 

II

Les feuilles de l’orme sont devenues
noirâtres avec des ocelles et des reflets,
violine & carmin grésillent à l’œil 
comme un poudroiement de braise 
sous une fine pellicule de cendre.
Feuilles consumées par de lents incendies,
très calmes surtout, pendant des jours
jusqu’à ce qu’il n’en reste rien, et sans une larme.
À ces intolérables flegmes naturels
répond la rage en soi. 
Passe-passe des impressions dans le soir, 
c’est pourtant déjà beaucoup, alors apaise-toi.

 

 

 

Station XIII

 - saule -

I

Lui, un centenaire sans chronique certaine
sauf les mots nuage irisé, poudré de menthe 
glaciale mais bonne pâte à nos savoirs et à nos enchantements
[à supérieur, supérieur et demi… vient à l’esprit, s’arrête]
puis hors de nous hors de lui échevelé d’un coup :
levée de boucliers & armures tout en ondulations 
et lames d’acier, rapides comme l’éclair sous le vent.
Alors, dans un rang de perles vertes 
chênes, frênes, érables, chênes, ormes, platanes, chênes, aulnes, érables...
savoir qui, un jour, osa ce saule blanc ?

 

II

Doit-on dire
le saule et les rivières ou la rivière et les saules ?
Mais il y a un centre de gravité à cette indécision
sous le couvert des très nombreuses et très longues tiges en fil et or tirées au fil de l’eau.
Car jusqu’où peut-on poser le pied avant que de tomber à l’eau ? 
Où est-ce sur la berge ? 
Peut-être un rocher sous la surface, il faut être précis,
c’est là, 
que pour nous se concentre au maximum 
les abouchements du visible. 
S’ensuivent en cachette les délices maladroits, 
forces d’intimité, vitales intrications, 
en prendre en garder en savoir, 
quels que soient le saule et la rivière, 
abris des regards.

 

III

Les trognes, leurs silhouettes à tue-tête dans le paysage
ô mes difformes, bossus, vous existez
ce frisson quand, dans le soir en vous voyant, effrayant
de leurs orbites noires, caves et ridés
toujours je me souviens
de l’insondable
qui pousse la nuit au rapprochement avec la chaleur humaine.
Au matin frais, chaque saule têtard rouvre à l’œil son paradis
d'arbre concassé, laboratoire vivant à ciel ouvert,
terre, excréments, graines, insectes, la bienvenue
fougères bienvenues, petites bêtes bienvenues, oiseaux bienvenus,
et vous, oui, aussi, vous êtes à la hauteur.

 

IMG_6334.JPG

Nicole Bouharmont  Vieux saule (2013) eau-forte, pointe sèche et roulette (15 x 19,7 cm)

- avec son autorisation et sa bienveillance, merci - 

 

 

 

 

Station XIV

- châtaignier -

 

Voici l’arbre 
pour ne jamais mourir de faim. 
Ce savoir un jour percuta l’esprit la joue la bouche en feu
et l’émeut – toujours –  l’aiguise, le rattrape, l’empêche, l’oblige.
Il n’est pas simple l’exercice de la patience 
de l’eau des fruits cherchés sous le talon furieux 
ou le bout du pied tâtant un cœur hérissé vivant  
à ne pas mourir de faim la pensée est parfois folle. 
Il est simple l’exercice de la patience pense au faste 
peut-être, du goût des châtaignes dans le lait.

 

II

De passage au pays des châtaigniers, 
– son essence un feuillage, le motif hérissé d’une ombre – 
une sorte de contagion s’empare de l’œil,
ruant vers l’or, au ras du sol, dans la pénombre
trouée de lumière où des statues de chevreuils
sont aux aguets dans les champs de myrtilles, 
silence 
le silence est battu de coups à présent.
Les châtaigniers libres de mouvements, avancent.
– L’inquiétude, fruit amer, lentement vous déguste – 
Les récoltes sont suspendues, n’oser rien, sauf 
– fais-moi voir la nuit violette à plat ventre.

 

 

 

Station XV

- peuplier -

 

Arbre commun, souvent aligné, discipliné, 
qui a dit peuplier ?
A contrario dessous l’agitation fatigante de ses feuilles 
– du temps simple des ondes hertziennes –
est le brouillage recherché des conversations
ou art de plaire par l’effort, 
s’agirait-il d’horreurs de projets de mise à mort de la mélancolie
de ne pas être élu du peuple d’un seul,
bonhomme pourtant qui fait les berges sûres à la promenade
et près de l’eau poissonneuse des repères muets (fosse à huit, treize, vingt).
En mai, les peupliers femelles libèrent une chose blanche très abondante 
qui ressemble à de la neige 
et n’émeut pas Alberto Caeiro.

 

 

 

 

 

 

Station XVI

- cerisier -

I

Sous mes doigts, de l’écorce des pétales le vide,
je suis aveugle dans un cerisier en fleurs, 
cérémonie inventée pour marquer l’instant 
au fer rouge en mémoire de cette année 
toute puissante dont le désir halète
on ne manque pas à ses devoirs, au plaisir
autant de neige que de fleur impossible
rien ne passe en moindre mal 
cette année de plus je suis embusquée 
dans le parfum imprenable de l’invisible, 
aveugle dans un cerisier en fleurs.

 

II

Juin, il y a une trappe dans le cerisier
par où disparaissent les hommes heureux,
reste l’échelle en bois à dix-huit barreaux, 
vertige promis, un léger murmure de danger  
reste un murmure qui m’échappe, me taraude 
un arbre rouge cerise pris pour l’éternité
où j’entends les gestes les rires les égards pour un nid,
reste en bas, ne va pas te tordre la cheville.
Mon délice c’est vous, quand vous redescendez.

 

III

Répudiés, les cerisiers vides de fruits m’émeuvent,
est-ce élan, est-ce aimant, aimer, c’est tout réfléchi,
ainsi septembre peint les cerisiers en prière 
à passer en premiers les couloirs défraîchis du temps. 
Ceux des bords des routes, rouge reproche jaune inutilité.
Cuir de joug & sang caillé, ceux des champs à cor à cri. 
Préférence à tous ceux qui trônent par hasard,
voués à rappeler – psaumes de feuilles colorées – 
les moulins à prières aux montagnes élevées.

31/10/2018

Stations

Station I 

- figuier - 

Obstinée pourquoi t’arrêtes-tu encore là
dans l’aire du figuier où il reste trois fruits
de l’odeur rien un souvenir narcotique vert
une porte émeri dans un couloir d’ombre vers
le geste déjà affamé caressant l’air
courbé du temps de mars le bois lisse à bas bruit
livre ses images en boucle des sons de papier
suave feuilles froissées au fer chaud de l’été
— c’est l’appel à un concile dans le tremblement
invisible du monde qui se presse à mes lèvres.

 

 

 

 

 

 

 

Station II  

- tilleul -

C’est un tilleul bossu sur la terre des champs,
un destin d’arbre parmi les hommes qui se pressent 
d’arriver quelque part, tilleul oublié, touchant
de disgrâce et de sauvage délicatesse  
il garde son bois mort, s’étend librement, rue
vers moi en vagues feuilletées, caressantes, souples,
je divague, baigne dans ses branches basses en crue,
tilleul si doux si fleuri touchant la disgrâce
à mes pieds, tendre époux d’un éphémère couple. 

 

II

L’arbre tilleul a un cri d’or aux yeux baissés
de force dans le rebroussis de ses feuilles d’automne.
Rien, un arbre ? c’est un couteau qu’il faut qu’on me donne,
que vous restiez là, mécréant, à l’attendre 
de force, la sainte alliance exhalant le tilleul
du matin par la rosée, à trois heures sous le soleil
pour un parfum ; qu’avons-nous d’autre à faire qu’attendre
devant l’alambic de toutes les choses que peut
le pouvoir, quel pouvoir ? Il sera bientôt mort.

 

 

 

 

 

 

 

Station III

- amandier -

Maigre, fleuri à froid, au pain sec et à l’eau,
il est seul sur la butte et il siphonne le Sud !
Aspirés les pays ! dans l’image d’un seul arbre
innocent de tout mais chargé du poids des êtres,
de leurs fatalités l’exemple, mais il est sans un cri.
Bien vivant à mes yeux, arrachez-moi les yeux
on tue déjà dans l’air que je respire, il vit —
en son suivant état déchiqueté d’orfroi
pièce d’or par pièce d’or accordé au paysage
pieds et poings liés de séduction en besogne
— le clou du temps dans mon regard, un amandier.

 

 

 

 

 

 

 

Station IV

- platane -

Ils vont par vingt ou cent, verts platanes 
et ils mènent des esclaves dans leur ombre :
des dynasties bavardes, des villes à demoiselles,
châteaux en cocons à barbares, ils nous mènent 
pour un bal, un taureau, jusqu’aux remparts de guerre
— dans leur ombre le désir de saisir le toujours.
     Disons cette ombre, 
c’est la cassure du soleil donc,
une ruse simple de sioux des vieilles terres
pour ne pas suffoquer, pour tenir, pour régner.
[L’ombre des planteurs morts est toujours visible, 
qui se faufilent entre les arbres au mitan du plein jour
mais un rien vous terrifie, ne regardez pas.] 
La récolte c’est la fraîcheur, un vert pommeau qui tinte 
aux murs des lices, des corsos. 
Qui sait, on ne fait rien de mieux
on habite aux arbres
dans une intercession
faite par le passé 
promis pour le toujours
— que presque les dieux seuls entendent.

 

 

 

 

 

 

 

Station V

- chêne -

Détonation, fibre dénudée sur la hauteur
d’un chêne, un siècle et des copeaux je vois en moi
une hache qui fend tout mon fruit avec douceur
recommence la trace à la vérité plonge en moi
par la plaie ouverte où de surface à racine
l’esprit en sueur n’en a que pour le trouble
plaisir de se heurter à l’aveu de la vérité
ce bois dont on fait les supplices et les bûchers
ce moi tragique et sûr qui s’abandonne en moi.
— Quand à mourir viendra la force de sourire
du temps passant nous aurons dressé les instants,

recommence aime-moi de surface à racine.

 

II

Sombre chambre tropicale des 
sureaux sous les chênes, oublions donc ces chênes
invisibles dans l’épaisseur végétale,
ronces assaillantes ou lianes frottées d’oiseaux,
que de bons cris et ma peau moite sous ma chemise
– mais bouger par cette chaleur…
Puisqu’il en coûte, y être capiteuse
inspirer le geste lent, les longues palmes, une
cerise laissée en bouche jusqu’au demi-sommeil.
– Je me souviens des draps qui séchaient dans les prés,
personne n’a plus faim, l’ocelot est passé.

 

III

Dans ce que c’est encore que l’hiver ici,
les claquements du feu sur les peaux dépouillées
– la pavane du froid, les joues un peu rougies – 
une patience d’arbres nus et nous pauvres inquiets
cherchant dans les frimas les quais des jours meilleurs,
à l’ombre connue sous le nom de chêne vert
n’en pas revenir, car c’est cinq heures à midi,
des orangers à Oslo, sans énigme mais majeure
la joie d’être face à une faille de l’univers,
de quoi avoir l’esprit dérangé, enchanté. 

 

 

 

 

 

Station VI

- pin -

Ici le vent s’affole à l’esprit d’un arbre
élevé sur une fourche à grosses écailles,
aux frondes peintes en rouge antique
mais qui lui rend un faible son de sable.
Alors il en fend la masse insaisissable
avec des feulements de ciel
bleu mêlant sa causerie ondulatoire
aux aiguilles poussées drues comme sur un aimant
et à des menaces de térébenthine.
Au feu du sel
à l’infime senteur de violette dans le vent marin,
tout un dialogue
sensuel est à mes bras ouvert.
[Je suis couchée en travers du lit du sol
sous un pin-parasol.]

L’écrire, lui aussi,
comme un rendez-vous
pris avec précaution
— avec le désir.

 

 

 

 

 

 

Station VII

- hêtre -

Le hêtre,
pour bien faire, pour bien dire, lui tourner le dos.
À l’amorce du mouvement déjà l’esprit joue bi-frons
absent fidèle, on tend l’oreille cambrant le dos
au balancement désiré de ses branches basses
mains posées sur le paysage, le fût énorme.

 

II

Quelque part il y a la guerre, l’ennui, des réformes ;
on joue aussi sa vie au temps avec un hêtre.
Maintes fidélités accomplies, reste un hêtre
dont on veut renverser la beauté*, obtenir
les clefs de la guerre, l’ennui tandis qu’il murmure
je suis une question de temps.

* Giono, Un Roi sans divertissement

 

III

Le tableau pesé d’une longue allée de hêtres
toute en écorces lisses, pointillisme, ourlets d’ombre
où les branches font torsades dressées en voûte
pour le passage et les cent pas des siècles.
Hommes arbres dans cette rumination de concert,
inégaux et complices, en beauté.

 

 

 

 

 

 

Station VIII

 - cyprès -

Le pas du cimetière crisse ainsi qu’à la plage.
Déraison des visites aux morts parfois l’azur
le vent me poussent au fond du cimetière,
il fait beau, j’ai lu tous les noms
ensuite les cyprès – profonde révérence –
me laisseront entendre écorce coquillage
ce qui vient des tréfonds et monte jusqu’au ciel
passe la mort je suis confidentielle poursuis
lente ta promenade du pas au cimetière.

 

 

 

 

 

 

Station IX

 - érable champêtre -

Toute une campagne quiète projetée
dans leur ramure, l’ombre pipée d’oiseaux,
une bombance de verte tranquillité !
Les érables champêtres ont la pudeur idéale
jusqu’à l’automne, puis c’est l’embrasement soufre safran
où sous leurs feux de rampe se dit pendant des jours
le lumineux aveu de tout ce qui se cache
de connaître et d’aimer.

 

 

 

 

 

 

Station X

- pommier -


À l’émouvante floraison d’un arbre
dans une forêt noire – floraison veuve,
orpheline – un botaniste fort en gueule
conta les muscles cachés, les raisons
exactes du pommier sylvestre, d’être là,
entre clairières, châtaigniers et courants d’air.
L’idéal sauvage en équation juste.

 


II


L’œil profond sur le pommier des vergers,
le muscle roide en fol effort, la feuille saine,
soupçon, armure de la volonté,
une fête ! Tout participe, rien n’y fait.
Seules, les abeilles.

 


III


Une débauche de fruits, et nos inventions
débordent en fleuves étincelants, à manger
à boire, la débauche d’un règne tantôt heureux
jusqu’à ce que le pas nous ramène au verger.
Patte de loup, reinette, api étoile
et toujours un vieux serpent dans la pommeraie,
que l’on chasse ou qui nous retient, qui sait qui sait.

 

 

06/09/2016

Silhouettes II

S.


Elle croquait des noisettes, à son doigt une opale.
Voilà le souvenir, l’épingle à ma mémoire
d’où s’écoule un acier aux vertus de cordial :
son rire, comme sa phrase sans défaut,
étaient semés vivants
de silences divinatoires.

 

 

 

Élisabeth


Élisabeth traverse les miroirs.
C'est visible dans sa démarche, la tête haute
et l’œil éclatant. Sabre au clair féminin
dans vos regards appauvris de piété commerçante.

 

 

 

 

Un mot juste frappa son esprit au cimetière : l'enfant ensevelie.
Elle n’avait jamais dit ce mot auparavant.
Il lui sembla l’entendre pour la première fois,
et le mot disait l’enfant : ensevelie.

La pensée de l’enfant
— ensevelie, chantante
est toujours
à l’instant même où son esprit la touche
brisée ainsi qu’un cristal tombé.

Ensevelie dans la chute d’une clarté hyaline.

 

 

 

 

Nastya

Chaque jour avait son rendez-vous changeant
où Nastya posait ses mains ainsi sur le tombeau.
Alors ses doigts vivaient d’imperceptibles vagues
à la frontière de sa peau et de chaque pulsation.
De son sang son cœur se rappelait des mots :
je n’ai pas toujours peur
de ce qui finira avec moi,
je nourris mon feu
pour la beauté de la lumière, 
seul mon esprit est trop grand
et projette des ombres,
que mon attention me tienne
comme au premier jour.

 

 

 

Jade

C’est près des eaux lisses, ce coffre d’opaque
qui vacillait en de grands cercles
sous la ponctuation amusée de ses doigts
(et en d'autres ondines — hermine, jade, céladon
— icelles d’où venues ?) de tant de mots
palpitant jusqu’à ses pieds,
que l’enfantine apprit le plaisir
de mordre le diaphane.

 

 

 

 

 

Je n’aime plus que la lente pavane des chevaux.

Le bai-châtain de leur robe
en lointaine caresse
qui me charge de rêve,
disparaissant au soir
dans une brume épaisse
de lait de pavot.

 

 

 

 

Il avait de petits chardons bleus dans la voix,
des propos tendres de limonaire amoureux
qui enchaînait les rondes en fermant les yeux.
Je demandai : comment va votre ennui, ami,
sa démarche de crabe sur le sable mouillé
de vos larmes ? L’ennui me fait de l’ombre dit-il,
c’est un pur-sang d’ennui frais chaque jour, mais moi
je n’ai pas assez faim de sa carcasse énorme.

De la main il cherchait un feu, un fil d’épée
à passer outre les saisons enchaînées.

Sous le linon rosé, c’est mon sein qu’il trouva.

 

 

 

 

 

Je l’ai vu barbouiller des charrettes de pastel
et même leurs roues, leurs rosaces en pétales
qu’il menait jusqu’à l’horizon bleu, rageur
absurdement défié de trouver la couleur
parmi laquelle devait luire la seule course lente
d’un soleil minuscule :
la braise safran qui brûlait à ses lèvres.

 

 

 

 

 

On ne voyait d’elle que son grand manteau de femme
dont les plis à l’antique, le motif implacable
enfiévraient les regards tenus en révérence.
Elle avait été cousue idéale en un jour,
jamais fillette balbutiante
ou amoureuse de ses songes, mais nue,
brusquement qualifiée somptueuse en un jour,
la mandorle épilée pour complaire à son maître,
à ses fantasmes. Cent autres qui défonçaient son âme.
Pas même lorette, égarée pour un temps mais
aujourd’hui prisonnière d’une époque barbare.

Demain du même manteau une autre serait cousue.

 

 

 

 

Le jardinier des Ollières s’est tué ce jour,
fuyant l’épouvante d’une idée
qu’il voyait par les feuilles
dévorer à grosses bouchées
le corps chéri de la déesse de ses jours.
Le jardinier des Ollières s’est tué
en se jetant du haut du parc
sur la proue de pierre des remparts
qui s’écoulent jusqu’aux maisons.

La partie basse des jardins a été arrachée hier.

 

 

 

 

Julie petite fille mon cœur
d’un papillon bleu qui s’échappait
de votre chagrin dans l’eau claire
à mes bras en citadelle fermée
par vos mains jointes, reposée par
le sommeil impérieux de votre enfance
sa gaieté, jusqu’aux pralines roses
croquées en douce après le goûter
et le monstre terrassé sans effort dans votre cabane
mais avec mon ardeur qui vous plaisait
je note ici pour nous deux
la ferveur de nos âges.

 

 

 

 

La toute petite sœur de J.


Nous sommes au-delà d'un cœur
qui en a fini de rouler jusqu'en bas
de la pente aux mille morts et de ses ronces.
Sortie décostumée. Elle est maintenant
d'une fraîcheur de louve ayant trouvé les arcanes ;
dans ceux du piège à petite-fille qui enserrait son esprit.

 

La toute petite sœur de J. II


Un jour de grand désarroi, j'ai fermé les livres.
Ils disaient pourquoi, ils disaient parce que,
sans raisons, jacqueries, rebellions, débauches.

Ma sœur, ma sœur, est-ce vivre, recluse ?
J'ai l'amour de Dieu pour mes soifs et pour mes faims,
c'est mon bien me dit-elle. Et toi ma sœur, comment vis-tu ?
J'ai des mots, le silence
et des pommes allumées,
j'en nourris le divin qui s'y entend.

 

 

 

Enfants


Normalement l'âge taille dans les enfantillages
mais elle obtint cicatrices apposées dans leurs paumes,
le serment enseigné comme une grâce.

 

 
 
 
 
À la Saint-Jean

À la Saint-Jean dans une toute petite vallée
— quoique de murs épais et cent vergers,
à l’heure damasquin et pierrerie
d’un long soleil de forge ou d’astronomie,
une nouvelle Pomone a été choisie
(il faut lire Reine des vergers.)

Pomone,
pour nous, avant le soir
sa fête, et votre robe vermeille
glissant parfaite ondine dans les jardins charnus
jusqu’au brasier de ronces de l’année,
et avant de tendre la main pour nous
à la beauté du premier fruit, vous souviendrez-vous ?

Du long harassement d’une année.
 
 
 
 
 
 
 
Mardi

Dans les faubourgs de sa ville en feu, un homme
attend, on est mardi, il est presque midi ;
en dix-huit mois de guerre, on est mardi,
le mot est dépourvu de sens, mais beau temps.
L’angle ouest de sa maison a été emporté,
Dresde et Beyrouth immortelles fument
dans les faubourgs de sa ville en feu.

Mardi, il range sa bibliothèque. Non sans sourire
il inverse l’ordre de la semaine passée.
Du côté du mur déchiqueté, il place :
Manière de fortifier selon la méthode de monsieur Vauban
Images de New-York (seize dessins par Corneille)
Un fac-similé des Voyages de C.P. Thunberg au Japon (la partie Histoire Naturelle revue par Lamarck, professeur d’Entomologie et d’Helminthologie)
Discours de la méthode
Le Neveu de Rameau de Diderot
Deux tomes des Cahiers de topologie et géométrie différentielle


Plus tard (contemplant Dresde et Beyrouth immobiles),
la folie guette un instant d’inattention,
un déséquilibre de tout ordre précaire
pour enfoncer un autre clou :
l’agréable petite morsure du vide qui ouvre à tout.

Hier – était-ce lundi ? pour accéder aux vergers
par la voie la plus sûre, il marchait sur des crânes.
 
 
 
 
 
 

Décroissance

Un homme fin a serré sur lui ses lumières,
en maraude sensible, égrenant les matières
pour une gourmande soucieuse des grands temps
qu’il charmait d’une esquisse à la feuille d’or et
promesse d’ébauche en pacfung et chrysocale.
Leur rire sans partage et leur amour plus encore.

 

 

 

 

Au musée

Dans l’ombre savante d’un tableau du Caravage
deux hommes parlaient trop, c'est-à-dire comme ils parlent :
dans un duel au sabre pour un air de madone.
L’un en splendide pesée des poussières,
l’autre velours et félin mais le cœur décoché.
Elle, limpide, venue de Sienne immortelle, 
qui laissait échapper entre leurs mots
la beauté d’un tanagra ressuyé de larmes.

 

 

 

 

Au monde

Courez, je ne sais pas même que vous courez.
Est-ce que le monde existe encore quand
je suis assez immobile, assez inexistante
pour voir le repos de l’oiseau bleu
sur une pierre au bord de l’eau.