30/08/2019
Dans cette brèche
Les murs étaient nus
pour des tableaux qui parlaient d’un autre monde.
Chuchotait et rougissait l’enfant
d’entendre dire et chanter
sous ses yeux les forêts paisibles des Indes galantes
au milieu d’inoubliables terres de Sienne
et des ocres chaulés — il te faudra chercher le mot —
à mystère je me suis engagée dans cette brèche
sans fin.
Des transparences furtives comme des lois
immuables, avec dessous les ongles
il faut s’y voir parfois
des éclats de titan.
C’est un dimanche,
sur la photo on peut voir les grandes personnes,
une profondeur de champ, des choses moins nettes
et à l’embrasure – c’est le mot –
un rideau zinzolin qui fut aussi, longtemps,
le haut lieu d’un geste vissant un doigt sur la tempe.
On peut voir des mains sur les hanches
qui aimait qui. Qui aimait qui ? Qui aimait ?
La table est abandonnée à l’enfant ses dominos
puis là cette aile floue, qui est passé ?
Il ne me vient pas d’autre relief
mais des noms sur les lèvres je me souviens
que revenaient, frappe mémoire, Jheronimus Sieff.
Ostinato
les moindres choses
ont dix mille sillons de correspondances
qui bourdonnent
— jusqu’à la fonderie du sommeil.
Dans le jardin de tant d’arbres,
la maison aux murs nus était de pierres
apparentes dehors apparentes dedans.
Il y avait un gros évier de grès dont les eaux retombaient
à l’extérieur sur des cailloux devenus moussus.
À l’intérieur un bloc surgissant
avait été comme fauché à ras pour faire l’âtre.
Un vent coulis chuchotait des âges, des messages
sans fin on calfeutrait, rien n’y faisait.
Cela sentait encore le coup de sang autant que le baiser.
Mon tout si peu imaginaire bouscule l’âme,
sa délicatesse tantôt renarde. Sur le seuil
un ébahissement : un plafond de plâtre blanc pur
y est tendu comme une frontière.
Ébrouer l’animal en soi,
mais alors, souvent.
Le bureau, l’antre aux grommellements
d’une bête dérangée à l’instant de savoir,
dans le déferlement continu de l’odeur
des livres ouverts comme
des brèches successives qui feraient défenses,
si bien que dès la porte
le jardin a quelque chose d’une jungle
prédisposée,
vorace
de tant de livres ouverts.
Les feuilles font une litière de simples vérités
où le vent souffle.
Aimer faire la course et ne se cogner
que dans beaucoup de lumière verte
— changeante ainsi que le ciel,
la réalité.
La première ville n’est pas si loin,
cette science à l’étranger.
Ici, entre distance mais regards qui voient,
répondre de Paulo et de Meredith, du facteur, du berger ;
et — la peste soit du temps
gravir doucement les marches
du parfum rapproché...
Les escaliers, bien entendu
— justifiés à l’encyclopédie par la roche
& le puits d’un côté, la cave de l’autre ;
ce qui fournit nouveau prétexte
à réussite architecturale (tome A-F), à la beauté
de son giron atypique à sa marche palière.
La lumachelle, la courte échelle et la vie éternelle.
Quand les gens curieux repartent enfin
on vit à nouveau dans l’escalier.
Un tableau était accroché au mur de la salle d’eau,
celui entre les deux fenêtres qui ouvrent sur la forêt.
Le tableau représentait une baigneuse à la toison turquoise.
Je faisais parfois révérence à la baigneuse,
— inconnues
séparées que nous étions —
de sa liberté turquoise, je jouais
à croire qu’il pouvait lui manquer
de ne voir jamais jusque dans le fond de la forêt
ce qui était ma liberté.
Un autre monde est en forêt
le savoir étouffe.
Un autre tableau
est accroché, insolite, dans la grange.
Je suis la première à l’épousseter,
c’est une marine ;
ce qui manque autour.
Impossible de l’enlever, maintenant,
impossible de se défaire de sa raison profonde.
En lisière un pré où les brebis
font une part d’eau claire dans l’ombre des chênes.
C’est un petit troupeau, c’est un voisinage, c’est une sapience
dont on ne sait rien. Le berger arrive en silence.
Nos préoccupations différentes pour une même pluie,
tiennent à la justesse d’une poignée de mains
chaque jour échangée, des mots rares
peuvent nous venir : dépiquer, agonie.
Les bêtes, dites bonnes, me font frémir.
Son dos à lui serpente sous le lin,
voilà le berger qui s’en va, écoute
c’est très beau aussi.
Comme de juste, il est midi.
Cette haie triste d’or dans les champagnes,
la hauteur corrigée des eaux dans le bassin,
une branche qui frotte et qui grince au volet
à vous faire compter les moutons
– en temps de guerre, en temps de paix –
jusqu’à pas d’heure.
Oui, j’imagine ce genre de coup d’œil.
Il ne me plaît pas toujours de lire qu’il [l’oiseau]
occupe pratiquement toutes les régions tropicales et tempérées de l’Ancien monde.
La séduction ne prend pas à chaque fois
on se sait avoir eu une machette au côté
pour en arriver là,
et qu’il en faut une toute autre
pour en finir avec l’infâme grouillement dans son esprit.
Les moments de pot-au-noir
dans beaucoup de ciel au-dessus de soi ;
l’herbe qui fait un appontement en vérité, mais chut.
Chaque jour,
on peut passer vingt fois devant cette fenêtre
sans regarder dehors, puis à un moment
la page du paysage est là et il faut la lire.
Tout s’arrête,
le mauvais sang des dettes des hommes
la corde sur son cou, le misérable que l’on sait.
Cela pourrait être une bonne ruse de l’esprit
un feu au phare le jour.
Aux fenêtres
l’immobilité, le silence
prenaient l’empreinte du moindre geste nonchalant,
hardi ou voleur.
Car, comme douves profondes & parfumées,
des lavandes en rangs serrés flanquaient la maison.
Des tombeaux, des bûchers parfois prennent forme
trop tôt dans une après-midi brûlant les ombres.
Ainsi existe un bruit de mort.
Il y a un geste à faire avant l’affolement :
froisser le parfum des lavandes,
fulgurant
à éveiller l’espace jusqu’à un regard inquiet
qui se penche et qui vous rattrape.
29/04/2019
D'un instant à l'autre
L’accord qui est fait pour l’œil
s’étendra ainsi jusqu’aux épaules.
C’est le soir qui tombe,
le ciel est tendu d’épaisses bandes nuageuses grises
que le vent par endroit déforme, déchire.
Au hasard des trouées, une vive clarté
appose des glaçures éblouissantes, des myriades
où l’œil se blesse ; dessous c’est le vert des champs
un sinople enragé d’éclat au soleil d’argent.
Les champs sont ornés de grosses boules blanches :
ici et là ce sont des arbres en fleurs, sans discussion.
Tout se joue en si peu de temps, la beauté et la faim
suffocantes. La gorge étreinte, les yeux mouillés,
les tempes dures mais sans discussion.
Qui voudrait discuter la nuit vient par le nord
le gris fonce et se teinte à peine de violet ?
— à mon premier frisson à cet instant que ferais-tu ?
(1)
Il faut courir pour trouver des prés vierges
où planter le petit couteau – en un geste.
Je vais vous dire encore comment :
torsion du poignet autour du collet,
puis de l’autre un geste bref, et trancher
— plus tard et différemment,
on fera la caresse à un beau marbre blanc,
d’abord se nourrir, voyez, ce sont là aussi, rosettes
charnues, où la dent invite à la dent,
c’est vert, c’est tendre.
Oui c’est simple, l’on se met à genoux.
Voici des heures.
(2)
Affamé – le ventre plein, du pas qui vient et
le suivant, sur la route de Sénac à Sobole
et des hoquets de rire, car c’est chaque jour
le coup du siècle ce trajet de solitude,
ce trajet quotidien de Sénac à Sobole !
La cohue éteinte par des champs de jaune
d'un Van Gogh le tonnerre à plat de la couleur
des lieux abandonnés à cause d’une fleur
si commune qu’elle dépasse l’entendement...
Suivez-moi dans le silence très aimé
à travers les grands prés de pissenlits en fleurs,
compter la tentation de l’infini, distraite.
(3)
Ou à
voyager comme on peut à vitesse interdite
[encore celle des pas] sans pleurnicher
là-bas des flamboyants, ici des pissenlits,
quand vient la culbute soudaine de l’esprit
sous le pouvoir d’un globe minuscule
disposé en faisceaux de paillettes et d’orgeat.
L’être soulevé — se prêter à la folie
du jeu de la gravitation par la pensée
autour d’un globe lumineux, sa lunerie
[là, siffloter, le voisin passe ;
discours, révolution]
avoir l’univers à l’œil dans un pissenlit.
(1)
Vaï 'fan, ici c’est inondé, prendre au plus long
maintenant j’en pleurerais, tout m’éloigne de tout
la feinte au chemin familier qui tourne en rond
je connais, tu rêvais de te perdre, voilà, c’est fait
midi sonne, oriente-toi, midi sonne, trop tard
je sais où je vais, adieu violettes d’ici
mes discrètes lares où que j’aille, en route
violettes je vais toutes vous retrouver
nous serons réunies en violente confession
de ce monde existé.
(2)
Le moindre petit empire, le regard du voisin
même sur mon sein commence un empire à prendre,
j’aimerais que s’y mêlent des tapis de violettes,
étalon-or de la moindre des autres choses
supposées existantes, l’invisible par la preuve
violette. Mais nous ferons comme avant, à défaut,
la persistance des mots d’arsenic dans l’eau
des chevaux en bataille à l’encre violette
puis s’étriller le cuir, s’aimer fort la peau neuve
pour s’éveiller encore et plus encore
entre la dernière mue des empires
et leurs morts.
Maintenant une nuit, riche de ce que l’on sait
pour une chasse à la permanence du monde.
Interroger l’énigme ou ne rien faire ? Nuit noire.
Ce que ce fut d’attendre qu’il se passât quelque chose ?
Par exemple une bonne rasade d’alcool fort
dans la calamintha, forteresse du trouble
d’un homme blessé qu’on aurait accompagné
jusqu’à sa chambre, ensuite
somnolence gagnée dans la vigie du cri
de la hulotte perchée dans les arbres, toute
frontière abolie, surtout plus un mot. S’en foutre.
Les blaireaux cette nuit-là fouailleraient la terre
des fossés, pour un bon festin de tubercules
(arum maculatum L.) sous la Voie Lactée.
Réponse : le festin des blaireaux sous les étoiles.
D’icelles,
ce que j’en dirais n’importerait que si vous le savez aussi.
Mais ce génie, écrasant, de la langue d’un jour
qui depuis des siècles fauche à ras le promeneur
à la vue des — stellaires — fleuries dans les fossés.
Elle avait babillé sous les lilas,
confiée à l’herbe humide d’un pré sans danger
pendant que de la sentence tombait le lilas ;
l’offrir c’était tailler.
Elle avait porté des brassées de lilas frais
dans les maisons importantes,
la taille ne pesait pas aux dimanches.
L’offrande odorante du bon-vouloir
et de la beauté étaient à table
aux côtés des besoins en minerais,
la donne économique d’entêtants personnages
dans une ronde de parfums où s’ordonnait finalement
– et le massacre, comment ?
mais toujours pour trop tard, la claire distinction
de la traversée éclatante d’un souffle lilas
sur sa joue jusqu’à aujourd’hui.
Le bouquet de lilas, méditer
sa source et les météorites qui le composent.
28/09/2018
Datura
Datura I
Datura vert concave vers où le regard coule
attiré follement par ses belles trappes d’ombre,
son puissant charme de tropique à la campagne,
elle, la sans mystère, un peu niaise, pleine d’ennui.
De la terre, du blé, des fruits, et puis quoi d’autre ?
[hyoscyamine, atropine et scopolamine]
Datura, le beau mensonge.
Datura II
Datura, la belle plantureuse des naufrages terrestres,
hanchue, flanquée de dais empesés de vert sombre
où sur la tranquille épouvante de sa substance,
la fleur, blanc liseron, comme prêtée sur gage
par une nature captieuse, gire avec lenteur
en répétant son nom
datura, datura
dans une odeur vireuse de l’hypnose à la mort.
Datura III
pourquoi je l’aime parce que je t’ai tant regardé
insolent, fouetté arraché imaginé
au bord de m’en lécher les doigts
toujours retenue par plus grande malice
amoureuse, vertige propitiatoire
au recueil des secondes secrètes,
une rosée blanche, attention,
ou ta libration intime, datura,
tout me mène à l’attention.
Datura IV (sans lune)
en deux temps, ajouté à l’ombre puis absorbé
par la nuit noire, mais il m’obsède, je sais que c’est lui
cette ombre dans la nuit, il règne végétal.
Datura V (avec lune)
par les grands champs nous baignons à cheval
dans une lumière de lune ravissante
presque bleue, sans sommeil au pas sans but,
où les daturas éclatent, de charbon noir
en phare d’ombre sur la pâleur terrestre.
C’est pour nous faire présent au clair de lune
du prodige d’être vivant cette nuit.
Datura VI
Datura, sa violente stature faite pour le blason
semble s’être égarée aux yeux des ignorants.
Datura arraché, mauvaise création,
revient indifférent jusqu’à ce que
plus rien ne reste de l’insolence riche,
qu’un nom : datura stramoine.
27/09/2016
D'air
Trop heureux, le Temps se dissout
Sans laisser de trace –
C’est que l’Angoisse n’a pas de Plumes –
Ou est trop lourde pour voler
Emily DickinsonAinsi palpitent les oiseaux blessés
Avant de se laisser aller au linceul
de leurs ailes.
Armel Guerne, Sur la fin
Tout est dans le geste, et tout est dans cette phrase minuscule.
Le temps et la dévotion qui tantôt ne doit rien à l'innocence, tantôt lui doit tout. De la main à la plume à la chair, et un visage toujours, je connais cent et un visages de ceux qui se saisissent de l'animal juste mort (dans les plumes tièdes j'ai à mon tour voulu sentir battre un petit cœur encore), et qui, fut-ce lors d'un court instant, ne manquent jamais de désigner ce qu'il faut y voir aussi de la condition de leur être de chair ; d'une âme qui déchiffre partout les signes mortels d'elle-même, aux autres, vivantes par le désir.
La plume est le lit, ils le savent,
le duvet sur la peau, est la peau.
Les contours se précisent alors ou deviennent des songes.
Certains regards vous déplument de la même manière, sans vergogne mais avec un certain courage, qui est celui de leur passion, cependant que hors cela (et le génie du verbe par lequel un regard brûlant serait retourné chaste), c'est en ce domaine plus immense encore : du matin jusque dans leurs nuits le désir joue à cache-cache dans leurs gestes.
(Vous ne direz pas à mademoiselle votre fille à quelle nature morte j'ai pris des éclats de sa beauté, son œil encore ouvert au fond d'un fossé, toute cette littérature de plumes défaites, éventrée, à laquelle je m'efforçais sottement de trouver une pudeur rougeoyante au fond du fossé.)