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27/09/2016

D'air

 

 

Trop heureux, le Temps se dissout
Sans laisser de trace –
C’est que l’Angoisse n’a pas de Plumes –
Ou est trop lourde pour voler
Emily Dickinson

Ainsi palpitent les oiseaux blessés
Avant de se laisser aller au linceul
de leurs ailes.
Armel Guerne, Sur la fin

Tout est dans le geste, et tout est dans cette phrase minuscule.
Le temps et la dévotion qui tantôt ne doit rien à l'innocence, tantôt lui doit tout. De la main à la plume à la chair, et un visage toujours, je connais cent et un visages de ceux qui se saisissent de l'animal juste mort (dans les plumes tièdes j'ai à mon tour voulu sentir battre un petit cœur encore), et qui, fut-ce lors d'un court instant, ne manquent jamais de désigner ce qu'il faut y voir aussi de la condition de leur être de chair ; d'une âme qui déchiffre partout les signes mortels d'elle-même, aux autres, vivantes par le désir.

La plume est le lit, ils le savent,
le duvet sur la peau, est la peau.

Les contours se précisent alors ou deviennent des songes.

Certains regards vous déplument de la même manière, sans vergogne mais avec un certain courage, qui est celui de leur passion, cependant que hors cela (et le génie du verbe par lequel un regard brûlant serait retourné chaste), c'est en ce domaine plus immense encore : du matin jusque dans leurs nuits le désir joue à cache-cache dans leurs gestes.

(Vous ne direz pas à mademoiselle votre fille à quelle nature morte j'ai pris des éclats de sa beauté, son œil encore ouvert au fond d'un fossé, toute cette littérature de plumes défaites, éventrée, à laquelle je m'efforçais sottement de trouver une pudeur rougeoyante au fond du fossé.)

22/09/2016

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(photo : IS)

10/09/2016

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Dominique Rousseau  # Terre de braise 1 & 7 (série Papiers, 2007)

Série de papiers, 30 x 22 cm. Chanvre, lokta, kozo,  empreintes, pigments, inclusions végétales et fragments de gravures anciennes (« L’Univers pittoresque Histoire et description de tous les peuples De leurs Religions Mœurs Coutumes Industries - Brésil par Ferdinand Denis - Publié par Firmin Didot Frères Rue Jacob 56 »  1839.)

09/09/2016

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(photo IS)

 

07/09/2016

Le Mur / André Pieyre de Mandiargues

 

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photo © José P.

 

 

« Juan Gris, si j’ai bonne mémoire, dit un jour de la peinture qu’il n’était plus possible d’y voir autre chose qu’une sorte d’architecture plate et coloriée. Ce qui vaut à peu près pour tous les tableaux cubistes, où les éléments du monde extérieur, l’homme, la femme et les simples objets usuels, sont jetés sur un plan en pêle-mêle calculé, à la façon de ces statues et de ces fragments de statues qui servirent parfois de pierre de taille pour bâtir un rempart autour de la cité menacée d’invasion. Avec des guitares, des bouteilles, des verres, des pipes, des paquets de tabac, aplatis comme à la truelle (les premiers collages étant le résultat encore plus direct de la même opération), le cubisme a dressé un mur devant le spectateur. En lui en mettant plein la vue, il lui, pour des années, bouché la vue. (...) Quand le mur eut attiré le coup d’œil initial, tous les yeux, plus ou moins, se fixèrent sur lui. Les peintres ne furent pas lents à s’apercevoir qu’ils disposaient d’un univers en miniature, aussi riche, aussi prodigue, sinon davantage, que le grand, dont leurs prédécesseurs avaient usé au point qu’il devenait tous les jours plus difficile de l’interpréter d’une manière originale. Les lignes du bois, les fissures de la pierre, les taches d’humidité, les auréoles et les irisations laissées par l’essence et par l’huile, les boursouflures et les plaies du crépi dégradé, offraient des jeux de volume et de surfaces qu’il eût été malaisé de trouver aussi suggestifs dans les plaines plantées de grain, dans les hautes montagnes, dans le ciel orageux ou dans la mer furieuse. (...) Les architectures et les ruines, qui avaient longtemps fourni de si hardis et si capricieux modèles et qui servaient plus qu’aux fabricants de pittoresque facile (décorateurs de ballets, amateurs de loques), redevinrent des sujets d’inspiration quand les peintres se furent avisés que leurs murailles, à condition d’être observées de près, fournissaient avec une intarissable abondance des formes beaucoup plus rares et plus émouvantes que celles des murailles elles-mêmes découpées à l’horizon. Il semblait, au premier abord, que cet univers révélé par le mur dût être désertique comme la surface d’une planète morte. Or, c’est tout le contraire qui se produisit, et l’on découvrit une flore, une faune, une humanité (non pas d’« académies » cependant !) bien plus grouillantes et vigoureuses que celle du monde véritable. Un nouvel éden parut dans le jardin minéral. (...) En vérité, le mur est inépuisable. Il est sillonné de crevasses qui sont des motifs de rupture et de bourrelets de ciment qui sont des liens ; il fait ressortir des blocs avec un faux relief ; il montre des coulées de suie ou d’eau, des végétations, des mousses, des traces de couleur abolie, des coups de pinceaux désordonnés et des inscriptions par centaines de mille ; il est une sorte de conservatoire du trait. (...) L’artiste ne donne pas seulement à voir. Son plus grand bienfait, depuis les temps préhistoriques, est qu’ayant su regarder, il l’enseigne aux autres hommes. Or, il nous arrive assez fréquemment maintenant (cela m’arrive) de nous arrêter devant une clôture de terrain vague, la façade d’une usine délabrée, le flanc d’un navire rongé par la rouille, avec autant de plaisir, sinon davantage, que nos pères devant le paysage du Cervin ou celui des falaises d’Étretat. »

André Pieyre de Mandiargues, Le mur in Le Belvédère (1958)

 

 

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© José P.

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© José P.

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© José P.

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© José P.

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photo © Didier du Castel

 

 

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 photo © Jérémie Lenoir   # Lignes de fleurs à Angers

06/09/2016

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grunewald - Virgin of the Annunciation. 1512-1514. Black chalk and indian ink on paper, heightened with white. 207 x 210 mm. Staatliche Museen, Berlin, Germany.jpg

Matthias Grünewald, # Marie / étude pour l’Annonciation du retable d’Issenheim (dessin à la craie noire rehaussé de blanc, aquarellé de gris, 20,7 x 21 cm)

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Georges Jeanclos, # Kamakura  (bronze, h : 31 cm)

 

 

 

Silhouettes II

S.


Elle croquait des noisettes, à son doigt une opale.
Voilà le souvenir, l’épingle à ma mémoire
d’où s’écoule un acier aux vertus de cordial :
son rire, comme sa phrase sans défaut,
étaient semés vivants
de silences divinatoires.

 

 

 

Élisabeth


Élisabeth traverse les miroirs.
C'est visible dans sa démarche, la tête haute
et l’œil éclatant. Sabre au clair féminin
dans vos regards appauvris de piété commerçante.

 

 

 

 

Un mot juste frappa son esprit au cimetière : l'enfant ensevelie.
Elle n’avait jamais dit ce mot auparavant.
Il lui sembla l’entendre pour la première fois,
et le mot disait l’enfant : ensevelie.

La pensée de l’enfant
— ensevelie, chantante
est toujours
à l’instant même où son esprit la touche
brisée ainsi qu’un cristal tombé.

Ensevelie dans la chute d’une clarté hyaline.

 

 

 

 

Nastya

Chaque jour avait son rendez-vous changeant
où Nastya posait ses mains ainsi sur le tombeau.
Alors ses doigts vivaient d’imperceptibles vagues
à la frontière de sa peau et de chaque pulsation.
De son sang son cœur se rappelait des mots :
je n’ai pas toujours peur
de ce qui finira avec moi,
je nourris mon feu
pour la beauté de la lumière, 
seul mon esprit est trop grand
et projette des ombres,
que mon attention me tienne
comme au premier jour.

 

 

 

Jade

C’est près des eaux lisses, ce coffre d’opaque
qui vacillait en de grands cercles
sous la ponctuation amusée de ses doigts
(et en d'autres ondines — hermine, jade, céladon
— icelles d’où venues ?) de tant de mots
palpitant jusqu’à ses pieds,
que l’enfantine apprit le plaisir
de mordre le diaphane.

 

 

 

 

 

Je n’aime plus que la lente pavane des chevaux.

Le bai-châtain de leur robe
en lointaine caresse
qui me charge de rêve,
disparaissant au soir
dans une brume épaisse
de lait de pavot.

 

 

 

 

Il avait de petits chardons bleus dans la voix,
des propos tendres de limonaire amoureux
qui enchaînait les rondes en fermant les yeux.
Je demandai : comment va votre ennui, ami,
sa démarche de crabe sur le sable mouillé
de vos larmes ? L’ennui me fait de l’ombre dit-il,
c’est un pur-sang d’ennui frais chaque jour, mais moi
je n’ai pas assez faim de sa carcasse énorme.

De la main il cherchait un feu, un fil d’épée
à passer outre les saisons enchaînées.

Sous le linon rosé, c’est mon sein qu’il trouva.

 

 

 

 

 

Je l’ai vu barbouiller des charrettes de pastel
et même leurs roues, leurs rosaces en pétales
qu’il menait jusqu’à l’horizon bleu, rageur
absurdement défié de trouver la couleur
parmi laquelle devait luire la seule course lente
d’un soleil minuscule :
la braise safran qui brûlait à ses lèvres.

 

 

 

 

 

On ne voyait d’elle que son grand manteau de femme
dont les plis à l’antique, le motif implacable
enfiévraient les regards tenus en révérence.
Elle avait été cousue idéale en un jour,
jamais fillette balbutiante
ou amoureuse de ses songes, mais nue,
brusquement qualifiée somptueuse en un jour,
la mandorle épilée pour complaire à son maître,
à ses fantasmes. Cent autres qui défonçaient son âme.
Pas même lorette, égarée pour un temps mais
aujourd’hui prisonnière d’une époque barbare.

Demain du même manteau une autre serait cousue.

 

 

 

 

Le jardinier des Ollières s’est tué ce jour,
fuyant l’épouvante d’une idée
qu’il voyait par les feuilles
dévorer à grosses bouchées
le corps chéri de la déesse de ses jours.
Le jardinier des Ollières s’est tué
en se jetant du haut du parc
sur la proue de pierre des remparts
qui s’écoulent jusqu’aux maisons.

La partie basse des jardins a été arrachée hier.

 

 

 

 

Julie petite fille mon cœur
d’un papillon bleu qui s’échappait
de votre chagrin dans l’eau claire
à mes bras en citadelle fermée
par vos mains jointes, reposée par
le sommeil impérieux de votre enfance
sa gaieté, jusqu’aux pralines roses
croquées en douce après le goûter
et le monstre terrassé sans effort dans votre cabane
mais avec mon ardeur qui vous plaisait
je note ici pour nous deux
la ferveur de nos âges.

 

 

 

 

La toute petite sœur de J.


Nous sommes au-delà d'un cœur
qui en a fini de rouler jusqu'en bas
de la pente aux mille morts et de ses ronces.
Sortie décostumée. Elle est maintenant
d'une fraîcheur de louve ayant trouvé les arcanes ;
dans ceux du piège à petite-fille qui enserrait son esprit.

 

La toute petite sœur de J. II


Un jour de grand désarroi, j'ai fermé les livres.
Ils disaient pourquoi, ils disaient parce que,
sans raisons, jacqueries, rebellions, débauches.

Ma sœur, ma sœur, est-ce vivre, recluse ?
J'ai l'amour de Dieu pour mes soifs et pour mes faims,
c'est mon bien me dit-elle. Et toi ma sœur, comment vis-tu ?
J'ai des mots, le silence
et des pommes allumées,
j'en nourris le divin qui s'y entend.

 

 

 

Enfants


Normalement l'âge taille dans les enfantillages
mais elle obtint cicatrices apposées dans leurs paumes,
le serment enseigné comme une grâce.

 

 
 
 
 
À la Saint-Jean

À la Saint-Jean dans une toute petite vallée
— quoique de murs épais et cent vergers,
à l’heure damasquin et pierrerie
d’un long soleil de forge ou d’astronomie,
une nouvelle Pomone a été choisie
(il faut lire Reine des vergers.)

Pomone,
pour nous, avant le soir
sa fête, et votre robe vermeille
glissant parfaite ondine dans les jardins charnus
jusqu’au brasier de ronces de l’année,
et avant de tendre la main pour nous
à la beauté du premier fruit, vous souviendrez-vous ?

Du long harassement d’une année.
 
 
 
 
 
 
 
Mardi

Dans les faubourgs de sa ville en feu, un homme
attend, on est mardi, il est presque midi ;
en dix-huit mois de guerre, on est mardi,
le mot est dépourvu de sens, mais beau temps.
L’angle ouest de sa maison a été emporté,
Dresde et Beyrouth immortelles fument
dans les faubourgs de sa ville en feu.

Mardi, il range sa bibliothèque. Non sans sourire
il inverse l’ordre de la semaine passée.
Du côté du mur déchiqueté, il place :
Manière de fortifier selon la méthode de monsieur Vauban
Images de New-York (seize dessins par Corneille)
Un fac-similé des Voyages de C.P. Thunberg au Japon (la partie Histoire Naturelle revue par Lamarck, professeur d’Entomologie et d’Helminthologie)
Discours de la méthode
Le Neveu de Rameau de Diderot
Deux tomes des Cahiers de topologie et géométrie différentielle


Plus tard (contemplant Dresde et Beyrouth immobiles),
la folie guette un instant d’inattention,
un déséquilibre de tout ordre précaire
pour enfoncer un autre clou :
l’agréable petite morsure du vide qui ouvre à tout.

Hier – était-ce lundi ? pour accéder aux vergers
par la voie la plus sûre, il marchait sur des crânes.
 
 
 
 
 
 

Décroissance

Un homme fin a serré sur lui ses lumières,
en maraude sensible, égrenant les matières
pour une gourmande soucieuse des grands temps
qu’il charmait d’une esquisse à la feuille d’or et
promesse d’ébauche en pacfung et chrysocale.
Leur rire sans partage et leur amour plus encore.

 

 

 

 

Au musée

Dans l’ombre savante d’un tableau du Caravage
deux hommes parlaient trop, c'est-à-dire comme ils parlent :
dans un duel au sabre pour un air de madone.
L’un en splendide pesée des poussières,
l’autre velours et félin mais le cœur décoché.
Elle, limpide, venue de Sienne immortelle, 
qui laissait échapper entre leurs mots
la beauté d’un tanagra ressuyé de larmes.

 

 

 

 

Au monde

Courez, je ne sais pas même que vous courez.
Est-ce que le monde existe encore quand
je suis assez immobile, assez inexistante
pour voir le repos de l’oiseau bleu
sur une pierre au bord de l’eau.