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16/11/2016

Perles d'eau d'Abyssinie

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)*   ευχαριστώ, γιώργος

 

PALIMPSESTE

« Il y a près d'ici la triste colonie française d'Obock, où on essaie à présent de faire un établissement; mais je crois qu'on n'y fera jamais rien. C'est une plage déserte, brûlée, sans vivres, sans commerce, bonne seulement pour faire des dépôts de charbon, pour les vaisseaux de guerre pour la Chine et Madagascar. »
Arthur Rimbaud aux siens, Aden, le 07 octobre 1884

« On se retourne tout à coup /comme on voudrait fendre du bois /mettre le feu à tout / comme je l'ai mis voyez-vous /d'Obok à Lalibela. »
Manset, Obok

De passage à Obock, mais le sieur de Monfreid n'y est pas de quelques jours et personne ne sait me dire rien. J'ai fait le tour, rien, je ne vois rien encore dans ce désert de sable et d'eau qui ne soit inutile et abandonné, mais j'ai coutume de mon regard noyé quelques temps par mon esprit perdu. Je suis logée dans une petite chambre sans confort aucun (pas même une chaise) où mon peignoir de soie et ma brosse à cheveux en écaille ont tout à coup la saveur d'objets que j'aurais volés ou que j'aurais eus dans une autre vie. Hier j'ai trouvé dans un meuble bancal toutes sortes de revues pleines de ces images du monde lointain, écaille pareillement, soie et parfum dont j'ai le souvenir encore. Un vieil appareil photo, des précis de topographie, un dictionnaire de la langue amhariñña, et puis L'art de la guerre que j'ai pris avec moi ; j'en rapproche la lecture de l'horizon sec qui m'est donné ; j'attends donc dans cet état d'esprit.

 

LOIN LA CELLULE EN PLEIN CHAMP

Seize juin deux mille neuf, Lombez est juste un petit peu trop loin de tout encore et rassemble ses franges sous les couleurs fanées de ses crépis ou celles furieuses des coups de peinture, elle ne montre que des chats maigres et pouilleux, on l'entend à peine par une fenêtre ouverte. Les façades y semblent toutes s'être figées à la vue de l'amère déchéance en cours d'une bourgeoise muette qui se laisserait aller, peut-être encore un jour ou deux, ou dix ans, le temps que celui-ci ou celui-là décide de livrer la ville. Elle ne sait pas ce qu'elle va préférer, alors elle retient sa respiration et se fait toute petite. Car quel cours prendra alors le flux souterrain qui ne s'entend pas ? De quelles sources viendront les flots d'intérêts et où se déverseront les boues proprettes des intentions ? On recoudra l'hymen, on dotera les belles. Welcome. Les plus teigneux accrochés là enverront mille regrets menteurs aux cadets dispersés par le vent sauvage de la mobilité, mais longtemps partis aspirés par le monde ceux-ci reviendront, sans doute chassés par des vents contraires, ils reviendront en bataille vers ce cœur de petite ville pour la ranimer, la conquérir, peut-être même simplement y vivre en ayant apporté avec eux la sagesse qui se sera écoulée des plaies de l'arrachement. On sera peut-être loin de tout, et ce sera très bien. Tout le monde réapprendra à vivre ensemble, tous les jours, à longueur d'année ; la (bonne) volonté se conjuguera à l'impératif. Est-ce que le bon grain de l'humanité sera pour un temps égoutté de son ivresse ?
Le long des routes sinueuses il y a des herbes folles où se mêlent quelques avoines. Sur les riches routes des crêtes on pourrait toucher les toits des fermes allongées ou tapies entre les arbres. Collines, haies vives où explosent les fleurs des mûres, champs qui bordent de minuscules bois. Friches, assolement. À perte de vue des cultures, des champs, des collines. Bientôt tout cela peut-être à pied ou en vélo, il faudra attendre, pour voir plus loin, que notre énergie musculaire nous y porte (sinon tant pis mon ami, nous rêverons).
Sur les hauteurs de Lombez, par la vieille route qui mène à Saramon, un s'est lancé à planter du lin. J'en ai des images fugitives, le souvenir d'un ruban au matin, d'un bleu hollandais si frais ; à midi une nappe alourdie mais du violet le plus tendre ; ici des turquoises délaissées sur une mer céladon piquetée de délicats points de poste blancs qui chahutent, ce sont les papillons ; puis là sous le vent, sombrant au vert, comme une eau dormante un jour d'orage. Une flaque d'aigue-marine sous la lune.
Un jour, à mi-chemin, nous aurons comme ces moniales entrevues et laissées à leur paix, le même discret fou rire, cet intérêt détaché ; la simplicité soyeuse du choix d'un habit.

 
Chronique des jours-échelle