03/10/2016
L'automne
En forêt
L’on croit aimer les couleurs automnales
quand c’est le toit de la forêt,
ce temple,
l’été
d’un vert
qui était trop vaste.
De sa défaite alors, les fruits aimés.
Les fruits trop mûrs, les arbres creux *
Jour d'octobre, un automne présent et dernier. J'ai vu un cerisier peint par Seurat : une feuille verte, une feuille rouge, une feuille bistre, une feuille mousse, une feuille grenat, une feuille jade, orange brûlée, topaze, absinthe, maïs, céladon, carmin, malachite, fleur de soufre, orpin de Perse, alizarine, anis, citrouille, lichen, garance, impérial, cuivre, rouille, roux, rubis, paille, lie de vin, sang, ocre rouge, terre de Sienne, terre d'ombre... Puis un pommier peint par Egon Schiele, un vieux pommier décharné qui étendait au chaud soleil ses courtes branches devenues osseuses, il avait le même air désolé qu'à Vienne mais d'adorables pommes rouges et nombreuses l'égayaient. Les longues tiges brouillonnes des framboisiers portaient des oiseaux et quelques fruits séchés, image vue dans un livre d'enfant trop tôt fermé. Un potager redevenu sauvage, son arrosoir proprement renversé, les branchages tressés, sur tout cela la neige tombera et une pie pourra s'y poser. Parterre chamarré de feuilles d'or, les jardins de Klimt qu'il ignore. La maison des rêves d'enfant devenue un cloître inventé où dérouler d'Anselm Kiefer les fils dorés et ceux de fer, de feu ; ma vie saupoudrée de fleurs blanches et grises ; y méditer ce que je ne sais pas penser. Le tilleul pour les cendres du futur mort, la dentelle à ses poignets, le vin en cristal, sa nature morte. Et tout ce qu'il ignore, ce qu'il ignore... Le ciel était de vase bleue** dans lequel j'ai perdu mes chagrins.
* "C'est un parc où vont les bêtes et quelqu'un s'en souvient peut-être. Les fruits trop mûrs, les arbres creux, c'était le verger du bon Dieu" Manset, 1975
** Manset, 1976
31/08/2015
Août 2015
Du temps que j'étais petite fille, trois pommes et deux souvenirs (les yeux à peine à la hauteur de la table), ou bien plus grande et plus pensive, existaient ce genre de demeures qui sont des châteaux dans le vocabulaire, pour peu qu'on ne revoit pas le même un peu plus loin au cours d'une promenade de deux heures. Ils se confondent tous dans mon esprit, surtout leur grand parc aux arbres centenaires qui s'étirait jusqu'à la forêt en une progression naturellement dense de la végétation mais où j'apprendrai à reconnaître, dans le même temps que d'autres s'ingéniaient à nous séparer, que des esprits éclairés avaient su laisser faire afin que cette progression existât qui illustrait secrètement le seul ordre important du monde : tous les états de la beauté (jusqu'à la dangereuse combe que dissimulaient les fougères et les sables mouvants à l'extrémité entre le canal et la route quand il n'y a plus qu'un petit bois obscurci de grimpantes parasites qui s'y répandaient en froissements de rideau velouté et plein d'une humidité vénéneuse). On dit que des temps sont révolus lorsque le portail immense voit passer notre modeste multitude pour aller au château par l'allée principale, mais cela c'est la nostalgie d'un ordre supérieurement séparé qui s'est cru éternel. L'été commence.
Le temps d'avant les interdictions sanitaires de toutes sortes aussi bien qu'un abandon qui ne dit jamais son nom.
Sur le mur le lézard ; cousin : caillou, empêché de joliesse menue par quelque récit horrifique, dragon réduit qu'une curiosité fantasque aurait pu réveiller, alors la caresse au lézard n'exista jamais. Sur le mur une petite créature allongée est enseignée de la beauté du monde par les nuages polymorphes. Conversation avec les nuages, bestiaire, lenteur, rien n'est incompréhensible seulement d'un sens différé. Le bleu céruléen et les rayons divins allaient et venaient des lectures. De plongeon en lecture, aller la tête la première dans les vagues de lumière et les vrais contes bleus.
Les innombrables ombellifères – répandues en nuées blanches au bord des chemins, et les rosiers arborescents dans tous les jardins et les haies, tous saupoudrent alors naturellement le monde d'une beauté tendre qui peut être contenue en un seul bouquet minuscule aperçu lors des jours qui sont comme des dimanches. Le voile rosé des cardères sauvages, le même que le byssus posé sur la table près du chapeau. Les murs d'églantiers ont des fruits d'étoile rouge semblables au tapis rouge des fraises des bois, semblables aussi aux abeilles de velours grenat d'un rideau de porte et au semis de lys cramoisis au revers d'un fauteuil (et un doigt de cassis). Naturellement tout se retrouve, se répond. Toute disparition saisonnière, consolée.
Les parlers symphoniques au-dessus de moi. Certains racontent avec un soin semblable aux mourants, d'autres sont volubiles et colorent leurs phrases de grands gestes. Observer mais ne rien dire, c'est encore raconter dans un regard car c'est savoir ; la qualité pétrifiante d'une photographie dans cette conversation.
L'ennui n'était pas un état qui serait né d'un océan de vide plus grand, il n'existait que des moments volés à la chasse à l'oisiveté (goût de la contrebande dans ma propre vie). J'ai beau savoir l'alentour verdoyant, cet absolu terrestre qu'est la campagne lorsqu'on en est comme moi la petite fille émanée et aimante, les yeux fermés j'ai toujours l'impression d'être au bord de la mer (je ne sais pas s'il leur restera assez de temps et d'esprit pour avoir le goût des yeux fermés au soleil du petit matin qui passe dans l'échancrure des arbres, entre un chêne et un érable champêtre et ainsi voir la mer).
Ce n'est pas tellement mon enfance qui m'importe mais l'identification du contour des empreintes, le comptage minutieux qui fait toujours loi aussi bien que le détail du mode opératoire ; ou à l'opposé, la saillie unique d'une émotion si violente que tout est blanc temporel autour. La piste du sacré.