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01/09/2020

Contre-allées #41

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Revue Contre-allées 

19/06/2020

Rêve de


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...
colliers blancs de stellaires
au toit nu de sa chambre.

 

 

 

 

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...
rives fleuries pour de longues parties de pêche
au bord de l’eau du ciel.

 

 

 

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...
belle prise et lampée de sève
à la dérive.

 

 

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...
belle prise à l’ambre ainsi longuement
parfumée.

 

 

 

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...
transmutation du soleil en esprit
du soleil retrouvé.

 

 

 

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...
théâtre d’or, du grand siècle être
le souffleur.

 

 

 

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...
carnaval soyeux et grimaçant dans l’ombre
qui vous aiguise.

 

 

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...
l’éternel voyou qui s’enfuit vers l’inconnu
en riant.

 

 

 

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Rêve de
miettes aux oiseaux le bon air les choses faites
un mendiant.

 

 

 

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...
l’empreinte du loup que l’on ne verra jamais,
ce qu’il sait.

 

 

 

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...
gaillard d’avant, soupe épaisse et chansons,
l’autre monde.

 

 

 

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...
l’éclat magnésique sur une Guérande morte,
l’impatience.

 

 

 

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...
l’âme trempée d’un destin infime, au dessein aimant,
dans la clameur d’un thrène.

 

 

 

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...
pinceau dans la coupelle, au glissement sur le papier
quand la vérité surprend.

 

 

 

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...
l’inquiétude animale avant l’orage, la paix puis l’appel
d’une voix brûlante.

 

 

 

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...
bain de lait – un lait chaud dans un bol, en offrande
pour l’âme dépecée.

 

 

 

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...
manteau de bure, humus et verdure pour toquer à l’antichambre
avec l’aurore.

 

 

 

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...
la halte nombreuse, aux herbiers aux fossiles aux ornières
trouver le temps.

 

 

 

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Rêve de
l’enfant qui joue dans la poussière, bille en tête – un rien l’amuse –
jusqu’à quand ?

 

 

 

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...
réminiscences, correspondances – tressaillir à la lumière des formes
qui accomplissent.

 

 

 

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...
la visite attendue vers cinq heures – peut-être tous les jours –
au loin entendu la micheline.

 

 

 

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...
bruissements, tintements, instruisant de mystère l’inquiétude
jusqu’au détachement.

 

 

 

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...
matin ensommeillé, la conscience en bourgeon s’en remet à ses sens,
aux braises sous la cendre.

 

 

 

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...
la pluie d’été sur mes épaules – le parfum pour rien – après la bataille
dans le paysage.

 

 

 

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...
l’heure la plus haute – la nudité pour une reine ou une va-nu-pieds –
exposant sa faiblesse.

 

 

 

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...
trouver la verdeur des ombrages dans l’écrin des indifférences
feintes.

 

 

 

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Rêve de
carton, motif, écheveaux de couleur et avec ça tenir tête
à la couronne.

 

 

 

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...
promenade dans la brume, la glace ou la rosée, pour toutes les connaissances
de la soif.

 

 

 

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...
la grande fraîcheur du linge que l’on renouvelle au front brûlant,
la raison d’être là.

 

 

 

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...
voyage à 京都市, Kyōto – l’attente aiguë de la moindre diérèse à ce nom –
et l’aise alors comme une ombrelle.

 

 

 

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...
fruit de la confidence, plus tard au vif avec les mains
dans l’eau ardente du silence.

 

 

 

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...
l’attention détournée du chemin par l’attention accordée au chemin,
tout l’inconnu du familier.

 

 

 

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...
l’imprécision qui tourmente, le mot sur le bout de la langue,
l’obstination.

 

 

 

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...
vertige dansant des lettres, sous la lumière verte à la bibliothèque
la suggestion du non-agir.

 

 

 

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...
costume-trois-pièces, mannequin sérieux comme personne
jusqu’à l’éclat de rire.

 

 

 

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Rêve de
l’alexandrin mémorable, la partie pour le tout et les jeux de l’esprit,
ces nécessités secondaires.

 

 

 

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...
voyage en échelle, grenier à fruits, canopée, nid du temps
de ces mots qui tiennent, détiennent.

 

 

 

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...
jardin de l’émeraude ou du détail d’un puzzle pour penser
la nature des liens.

 

 

 

 

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...
regard sur la crudité des heures, au paradis, à Montfaucon,
le cœur léger.

 

 

 

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...
bon matin la page ouverte au hasard, le doigt pointé au hasard
du croquant d’un aphorisme jusqu’au soir.

 

 

 

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...
la complexité de l’être devenue aimable à ses défauts mortels,
en une sagesse.

 

 

 

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...
choses entrevues ou dérobées, fichées dans la mémoire
aux germes inconnus.

 

 

 

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...
falaise, schiste, rocaille, figuiers de barbarie qui rejouent
l’énigme de l’abondance.

 

 

 

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...
toutes choses faites en un jour, la nuque abandonnée
pour le salut aux immortelles.

 

 

 

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Rêve de
muguet repris en forêt, du sang frais sur la neige et le rire alors
de Vincent Van Gogh.

 

 

 

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...
calcul différentiel, optique quantique, cryptogrammes complexes enfin éclaircis
dans une solitude réfléchie.

 

 

 

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...
la lecture émue d’un vieux document, le traité des origines ou une maxime
sur une poutre chez Montaigne.

 

 

 

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...
demi-sommeil sur l’anticlinal, tabis de soie, coquillage, tout pour prêter l’oreille
au temps.

 

 

 

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...
carré d’herbe pour les lapins, poétique du manguier, valleuse perdue
où ne pas passer son chemin.

 

 

 

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...
trouble et calme comme une impression de déjà-vu qui se joue
sous le pied du funambule.

 

 

 

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...
juillet, les moissons que l’on pèse, le vin, le cycle des saisons
et puis le sel comme l’amertume.

 

 

 

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...
petit mausolée – de campan vert ? – qui se rappelle à vous, aussi bien les lavandes
en quelques mots laissés.

 

 

 

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...
la citadelle autour du fragment – le premier feu, des rires dans la cuisine –
qui s’anime de toute une mémoire.

 

 

 

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Rêve de
détails qui clochent, histoires lacunaires, obscurités du sens,
ces loups familiers de l’esprit.

 

 

 

 

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...
quel grand feu pour faire la lumière sur les événements, sourire à l’avenir
toujours en embuscade.

 

 

 

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...
prodromes, passages comme états intermédiaires, ainsi nommés par l’explorateur
nommé par la Reine.

 

 

 

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...
délicate courtoisie dissimulant fêlures et pensées secrètes, être la main tendue
à l’esprit de l’escalier.

 

 

 

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...
mélange des genres, heureux par nature, possible par culture
– lors de certaines conversations.

 

 

 

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...
mikado sensible des évidences et des grandes simplicités exhaussées
par l’attention.

 

 

 

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...
la porte de sa grange toujours ouverte pour les hirondelles, du temps, de l’abri, 
d’une migration, ce qui reste.

 

 

 

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Rêve de
mener grand tapage de fête et rituel d’incantation très beau
au bois dormant

 

 

 

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Rêve de
signes secrets, encoches mystérieuses, peut-être la mémoire 
de caresses divines. 

 

 

 

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Rêve de
l’hiver à sa fenêtre – hiver langue statique –  au coude à coude
avec la cérémonie de la nuit.

 

 

 

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Rêve de
langue du désert – silencieux comme un bréviaire – où pour une inquiétude,
est la quiétude d’un rien.

 

 

 

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Rêve de
génie en son verger, ce qu’il sait – un pépin, une feuille dans sa main –
comprend même le ciel.

 

 

 

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Rêve de
la musique verdie qui se joue au-dessus des mausolées, il l’aime
elle le rassure.

 

 

 

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Rêve de
la nature trouble des sensibilités vaudous, glaçantes, brûlantes, l’œil terrible
sans preuve.

 

 

 

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Rêve de
l’anamorphose du paysage, promesse des jardiniers soucieux qu’inspire
la sagesse. 

 

 

 

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Rêve de 
la conscience de la lisière comme état dominant de l’un à l’autre, symbiose, inépuisable
au toucher.

 

 

 

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Rêve de
l’immobilité consentie dans le silence du bord des eaux, la surprise qui est un oiseau, l’attente
un couronnement.

 

 

 

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Rêve de
bon matin, sur l’autel des mécaniques célestes se trouvent déjà les cendres
du mépris.

 

 

 

 

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Rêve de
sourire des bâtisseurs quand domine un puissant parfum de bois – c’est bon signe 
disent-ils – à l’air libre.  

 

 

 

 

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Rêve de 
bohème – aux heures sans origine ni pour quoi –  goûter d’amour & d’eau fraîche
le jeu clair, un grand trouble.

30/08/2018

Réversibilité

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16/10/2015

Roméo

Roméo est un jeune-homme un peu particulier qui doit peut-être beaucoup à son prénom qui est celui de son père, de son grand-père et ainsi dans la lignée masculine aussi loin qu’il a pu remonter dans les archives. Tout petit enfant il avait assez vite su qui de son père ou de lui devait répondre à ce prénom à la façon dont il était prononcé par sa mère (tout en voyelles ronflantes autant que joyeuses pour l’enfant, presque uniquement blotti dans la dernière syllabe pour son mari). La curiosité des choses de l’esprit lui vint brusquement quand un jour c’est son grand-père qui fut appelé Roméo par un autre vieil homme qui ne prêta nulle attention à lui, enfant blotti contre la cuisse du grand-père, l’homme qui crocheta son grand-père avec une familiarité rugueuse, s’exclamant aussi fort que possible : Roméo ! L’enfant qu’il était sembla naître à la question la plus fondée du monde : pourquoi ? Il ne l’exprima pas, mais la roche était fracturée et il y pénétra. La première réponse était dans le dictionnaire (l’homme avait un autre nom de famille), qui ouvrait sur de nouvelles interrogations. À mesure que Roméo apprenait, il devenait plus taciturne, appliqué à comprendre en gardant tout de cet effort et de ses inquiétudes car personne autour de lui ne faisait mine d’être effrayé par son propre parcours intérieur. 
Il nous quittera bientôt dit son père qui le regardait charger des sacs de plâtre, ce qu’il faisait sans plaisir ni déplaisir apparent non plus (les vacances commençaient, aider son père était dans le cours des choses). Il prendra le temps dit sa mère à la suite. Tous deux voyaient en leur garçon la même apparente évidence qui était à leurs yeux l’expression d’une raison cachée, mais claire et simple : leur garçon au fond allait bien, sa vigueur, ses belles épaules, le cadeau de sa figure avenante combinaient une image qui ne trompait pas ; au contraire, il serait bon et bel homme (chaque été forçait un peu sa pudeur ; on voyait, alors),  Roméo serait celui qui aurait su nourrir cette éclosion visible d’une force intérieure dont ils respectaient la source secrète. Dans sa glace Roméo ne cherchait qu’à vérifier qu’il n’avait pas l’air tourmenté. 
Le père de Roméo lui, s’était bien nourri d’une blessure secrète pour élever son fils : jeune homme (un peu trop éméché et trop sûr de lui) sur le point de forcer une jeune fille, mais elle, qui était vive et sûre de pouvoir attendre un lit profond plutôt qu’un recoin sombre dans un couloir isolé, elle vrilla entre ses bras et lui décocha un violent coup de coude dans la mâchoire. Il avait dessoûlé très vite, pris conscience tout aussi vite et cela avait eu une puissance phénoménale dans son esprit, le dernier clou de son éducation planté directement à la tête. Roméo avait donc reçu de son père au fil des années quelques sentences à différents sujets, les yeux dans les yeux ; à la fin son père lui disait : va maintenant. Souvent c’était lorsqu’ils étaient tous les deux sur un chantier, et ce va maintenant consistait à ficeler les affaires de leur déjeuner pris au petit bonheur des lieux et ensuite le regarder travailler. Son père tirait du plâtre une parfaite surface blanche et cela le fascinait, mais seulement tant qu’il parvenait à limiter son regard à la parfaite surface blanche car s’il élargissait à l’ensemble, il se voyait à nouveau au milieu du désordre d’une maison méconnaissable sous les bâches des travaux, et c’était à l’image du désordre redoutable de son esprit, sans l’aisance qu’avait son père pour, ça et là, obtenir le repos des choses aplanies. C’est dans les encyclopédies puis maintenant dans les livres qu’il cherchait à reconnaître la nature qui l’habitait. Il se crut quelques temps très proche des stoïques mais cependant des romantiques aussi.
L’été de ses dix-huit ans, il prit la direction de Vérone où il pensait s’approcher au plus près du foyer incandescent de son prénom afin d’en retirer les couleurs originales, mais c’était si puéril. Il s’ennuya beaucoup, renvoyé d’un tableau à une représentation à une autre image dans une ville qui ne lui disait rien. Il partit le soir même pour Trieste d’où sa famille paternelle était lointainement originaire, il savait même dans quel quartier se rendre. Mais là, personne ne se souvenait de sa famille ni de la succession des Roméo. Il partit à Rome où il ne fit que parcourir des rues en tout sens, Trieste puis Rome en tout sens jusqu’à ce que le dédale des rues s’organise quelque peu dans son esprit, après quoi l’expérience physique du labyrinthe montra une nouvelle fois sa cruelle limite. Il s’ennuya à nouveau, de cette langue qu’il comprenait mais qui ne lui apporterait rien parce qu’il avait déjà compris qu’il avait trop peu à lui apporter de lui-même ; d’être convoité comme d’être rejeté sans raison objective, incapable d’éclairer quiconque sur quoi que ce soit, ni lui sur lui-même. Alors il quitta Rome.
Il fut pris en auto-stop par un couple âgé pour qui il fut un heureux traducteur et garde-malade de leur petit-fils de six ans qu’ils emmenaient visiter l’Italie pour le consoler de son bras dans le plâtre. L’enfant s’ennuyait d’être tenu immobile, Roméo fut son porteur et tout s’enchanta. On décida de quitter le bord de mer pour aller visiter des jardins, puisque Roméo pouvait les mener loin dans les terres et se charger du garçonnet dès qu’il était fatigué. Chaque jour débutait de la même manière par une question : où allons-nous aujourd’hui ? et à chaque fois ils trouvaient. Au jour le jour pensa désormais Roméo. 
 
À la veille de se séparer, le mot demain lui revint à l’esprit, dans une épouvante jamais ressentie auparavant. Roméo qui, si jeune, se montrait d’humeur si égale, était troublé, le grand-père s’en aperçut. À l’heure où l’enfant faisait la sieste, il chercha et trouva Roméo assis sur le parapet. C’est assez haut lui dit-il du ton le plus neutre possible. Roméo répondit très vite, certain d’avoir été compris : ce serait assez haut, oui (et il se pencha vers l’avant pour mieux voir). Le grand-père mit brusquement toute sa vigueur à ceinturer le jeune homme et le tirer en arrière en un clin d’œil, et puis il lui flanqua une gifle : ah non ! lui dit-il, pas de ça ! Pourquoi tu fais ça ? Il n’avait rien à dire mais beaucoup à pleurer, ce qu’il fit dans les bras du vieil homme. Mon garçon… mon garçon… répétait le vieil homme pour l’heure désemparé.
Roméo avait eu le temps d’avoir peur, car s’il n’avait pas voulu se jeter dans le vide, il y pensait parfois, et la panique de quelques secondes qu’il venait de vivre en ayant été jeté à terre par surprise fut pour toujours la réponse absolue à sa vaine volonté de savoir ce qu’il aurait éprouvé à cet instant s’il avait eu le courage de…