Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18/05/2020

Perfumare I

Un parfum est des récits
qui n'ont un titre que pour pouvoir être relus.
Un parfum est des histoires à raconter dont une seule a été véritablement écrite, moitié par des mots, moitié par des signes, l'originelle perdue à tout jamais dans le souvenir oral de son élaboration. Le temps de l'alchimie n'est pas révolu.
La trame d'un parfum est consignée dans la géométrie triangulaire (ou quadrature pyramidale) de ses notes qui sont des amers imprécis soumis à des familles évanescentes où les lois changent et dont on réécrit l'histoire.
À partir de la note de tête, et plus exactement à la seconde où la narine est perforée par l'invisible du parfum, jusqu'au plus profond de la coulée spatio-temporelle possible ici-bas, tout est réécriture d'invention, motif de conversation, interprétation, citations, correspondances, introspection, inquisition ou madeleine, miroir ou appât, confession, récit mnémotechnique, identification, course-poursuite, cristallisation, littérature et références de civilisation, tissage savant des traces humaines les plus lointaines, révélation, re-ligere, mystère.
Des mots encore et toujours à la recherche du sacré : perfumare une abstraction, ou l'invisible.

 

 

Ne jamais chercher à avoir le dernier mot ;
dernier est un mot aux allures définitives,
au parfum d'adieu.

Un parfum charnel est
un débat byzantin dont l'intérêt principal
est d'en parler toujours,
à fleur de peau.

La lavande, en toute puissance
à genoux
du champ de cailloux à la fiole,
à la folie
pour un homme.

 

 

ROSANNA (Portrait au mêlé-cass) *

Au pied du château des Croups, sous l'aplomb fort d'une falaise de grès qu'il faut entièrement contourner par l'ouest pour accéder par une seule route étroite à l'entrée du domaine, s'étendent de nombreuses dépendances appelées les Essarts. Les bâtisses à l'ombre perpétuelle de la falaise avaient servi naguère de magasin de pierres pour ériger les nouvelles maisons (on parle là des nouveaux murs qui ont tous plus de trois siècles), cette fois au-delà de la glacière compacte de la roche, à peu près exactement le long de la rivière qui elle-même déborde de tous ses arbres le tracé lumineux que le soleil fait passer hiver comme été par-dessus les Croups. Il serait presque plus aisé de se laisser aller par la rivière qui contourne la falaise par l'est (avant de foncer dès la sortie des Essarts, accélérée par les trois biefs ; trois biefs justement), mais il y a bien un chemin. La longue route ouest pour rallier Croups aux Essarts donne très imparfaitement le ton des relations. C'est un beau domaine où il y a du travail à n'en plus finir.
En été en campagne, loin des grandes routes, on travaille toujours à différentes choses ou bien l'on ne fait rien d'ailleurs, c'est une question de point de vue. Qui sait que l'attente de l'homme aperçu fumant au bord d'un champ c'est celle de son fils qui est parti lui chercher un outil pour réparer une clôture électrique, puis tronçonner une grosse branche tombée la semaine dernière en travers du chemin plus loin ; qu'une longue partie de cartes est une partie de cartes, il est quinze heures, il fait excessivement chaud, et un observateur avisé mais de passage ne saura pas voir les hommes du même jour finir de moissonner à trois heures du matin parce qu'il n'était pas possible de faire autrement. Julie tresse des roses, Martin a repris ses ciseaux à tailler pour avancer l'évier aggravé d'une salamandre promis à sa mère pour l'entrée du jardin, Madalena bine les tomates en sourdine parce qu'elle a besoin de se chauffer le dos à toute heure, le monsieur sur le banc dans l'aître n'est pas un touriste en repos mais Bertrand, le curé, abîmé de pensées contraires avant un enterrement familial. Octave, décidé à faire une expertise personnelle de la collection de timbres de son père à partir du site en ligne que lui a obligeamment signalé la cousine des Ursules et ce avant la brocante de la semaine prochaine. Mélanie virée la semaine dernière s'en va en ce premier jour de bonne résolution, pédaler et cracher sur les routes le trop de cigarettes. Carine lit et sa petite sœur a les pieds dans l'eau fraîche de la rivière, Carine qui ce dimanche essaie de rattraper son retard dans ses cours par correspondance. Depuis sa chaise longue Éléonore surveille d'un œil, et surtout de la pointe aiguisée de son nez, le léger bouillon de son cassis dans un chaudron en cuivre, elle aussi lit et elle sourit à cette phrase : "si le souvenir de sa grandeur passée venait à le hanter, il en ressentait plutôt une fierté naïve, un peu comme s'il eût lâché un empire pour cultiver des laitues" ** pendant que Valère son mari répare pour la troisième fois la barre centrale du petit guéridon de la vicomtesse des Croups qui doit continuer à y appuyer de tout son poids son pied quand elle téléphone, il va donc falloir renforcer d'une longue latte en-dessous, parfois elle l'agace vraiment la vicomtesse.
Quelques chemins emmêlés vont et viennent par l'est donc, inutilement larges à certains endroits pour ne recevoir un peu plus loin qu'un pied devant l'autre, où à main droite en descendant il faut se tenir prêt à saisir une branche et bien s'équilibrer du bras gauche voire s'aider d'une courte apnée d'anxiété lorsque les seules branches sont de grands houx fringants (bizarrement c'est sans danger lorsqu'on monte). Tout cela n'est d'aucun problème pour la dame qui descend par là, elle fait le trajet plusieurs fois par an depuis des années et des années. C'est Lady Rosanna qui descend aux Essarts.
Au premier bief, elle quitta ses chaussures et son pantalon, noua les grands pans de sa chemise blanche sur son ventre et s'engagea dans l'eau jusqu'aux cuisses, sans frémir. Elle se dirigea tout droit vers les pierres plates en provoquant de grandes gerbes du plat de la main, souleva même des poignées d'eau qu'elle projeta jusqu'aux arbres ; tout retomba sur elle en une pluie de grosses gouttes sous lesquelles elle courba la tête et rentra les épaules, frémissante. Elle trouva la première pierre qui faisait là comme une marche, puis se hissa sur la seconde à partir de laquelle on n'avait plus de l'eau qu'à hauteur des mollets. Le courant qui était sensible battait autour d'elle, alors elle griffa franchement du bout des ongles des doigts de pied la mousse glissante pour assurer sa pose et rester là un moment, toujours le même moment au milieu des eaux courantes, du dôme de feuilles et des points de lumière, intense à cette heure. Elle avait un peu partout des repaires de ce genre dont elle ne parlait à personne ; qui cherchait, trouverait, mais qui cherchait ? (à s'isoler, à respirer la terre, l'eau ou des cailloux, à attendre que leur odeur revienne et s'en souvenir. À s'isoler). Lorsqu'elle crut s'assurer ensuite sur la troisième marche, la pierre se déroba comme si elle n'avait jamais pu être que roulante et la fit basculer, en aval, pas de trop haut car le premier bief ne l'est pas mais assez pour épouser à la dure quelques roches, s'égratigner le dos, fendre sa peau sous le petit orteil du pied droit, en se rétablissant mal d'ailleurs (et se tremper intégralement). Elle pouffa de rire, mais de nervosité, fut un instant tentée de défier à nouveau la troisième marche pour s'y tenir, mais l'angle inédit près de l'eau en cascade qui lui aspergeait les reins était plus beau que tout. Elle sentit avidement ses mains, pressa son nez sur ses bras, elle respirait les cailloux froids.
Dans un chemin des Essarts, Lady Rosanna marchait doucement au grand soleil. Un peu défaite mais souriante, elle arriva chez sa demi-sœur Éléonore qui l'embrassa en lui disant : Lady Rosanna tu n'es pas sage... et l'odeur du cassis qui semblait avoir été foulé avec tout le parfum de rose qu'exhalait sa peau en train de sécher lui plut infiniment.

* Portrait of a Lady / parfum par Dominique Ropion
** Marcel Aymé, Brûlebois

 

 

 


Μήδεια
Je me souviens quand Médée vidait de son sang
le père de Jason, lui reversant du sang neuf.
Un clapot parfumé battait à nos oreilles,
perforait notre narine, convulsait notre cœur :
la mystérieuse promesse nous liant à la terre
hurlait de puissance et s’écoulait en douceur.
Nous savions alors, lécher le parfum des pierres.

 

 

Le jasmin du boucher
 
Ce boucher avait de l’adresse
qui frottait ses mains grasses dans le jasmin
noué en gros berceaux à ses fenêtres. 
Il oignait ses tempes, en massait son ventre.
Les pétales collaient à sa peau sous sa chemise,
le froissement blanc s’accordait au drap
(le Dieu Pan n’aurait peut-être pas mieux fait.)
Il avait son cœur au bout de la hampe,
criait de joie en foulant les fruits.
Aussi pressées de caresses fleuries, 
on courait au musc.
L’alcôve suintait un épais parfum de lait.
Le bel été.

 

 

 


Parfum 19 *

Elle eut le geste parfum pour balayer l’instant d’avant. Elle pensa : c’est fou comme un parfum, pour ce qu’il recèle de gloire (c'est-à-dire qu'il est un agrégat – mais le mot gloire est plus juste pour dire cette accumulation dense de particules en nombre infini tout droit issues d’un passé sensuel) un parfum peut changer une femme, la faire passer de petite-fille embarrassée avec trois mots, jolie souillon dévouée aux marbres, pâle employée modèle, à conquérante en basse continue.

Ainsi elle aimait la première averse métallique qui éclaboussait de son alcool fort le désordre général, le temps d’être rejetée en arrière par cette lampée de rhum trop vert, à la puissance térébrante, mais nécessaire à une entaille verticale dans l’épais rideau du temps. S’ouvrait alors une plaine d’iris fauves fauchés en pleine verdure, soulevés de rhizomes, qu’elle parcourait avec l’ivresse des beaux malheurs et la bouche longtemps fourrée de bergamotes presque trop mûres, discrètement avide de se pourlécher les doigts de leur beau sucre orange, piquant de poivre, semé de fleurs, devenu fleuve narcotique frissonnant du même silence trouble que celui des végétaux sous la neige et du mot réséda, glissant aux pieds des arbres dont l’écorce lisse poudroyait au moindre souffle jusqu’à son lit de mousse, la secrète essence donnée dans les grandes forêts de chênes qu’elle avait connues pendant les mille ans de son enfance. (Et quitter la forêt, vêtue et résolue de pied en cape.)

* un parfum Chanel, N°19 créé par Henri Robert (1970)

 

 

 

 

Rien que le murmure de l’âge
d’une pierre meulière broyant les fruits,
d’où s’en viennent les huiles, le gras viride et or.
Lorsqu’elles auront été mangées
d’autres fruits viendront.
– Demain serait aussi simple ?
– Autant que de me taire dans ma langue
qui s’ébroue d’un fort gingembre rose,
et dont il te revient en silence
de partager le goût.

 

 

 

 


Iris Poudre *

Ce parfum-là présente au récit la difficulté de ses matières premières, celui des beurres qui renferment irones et coumarines. Il faudrait se voir découvrir un petit pot d’aspect banal en porcelaine blanche et n’y trouver qu’une pâte claire. Elle serait dense, opaque et elle ne sentirait rien. Quelque chose comme l’austérité dans un petit pot de crème, ce à quoi l’esprit ne veut pas résister car c’est détenir la matière même d’un oxymore. Sa belle texture froide (est-ce la porcelaine ? est-ce sa densité propre ?) repose comme un bloc de matière brute, il contient tout, ne dit rien. Il faut trois ans pour cultiver les rhizomes d’iris, trois ans encore pour qu’ils sèchent convenablement, après quoi la poudre des rhizomes broyés se sent toujours rien. L’entraînement à la vapeur sous pression de cette poudre ultrafine bouche les conduits, il faut sans cesse arrêter le processus, nettoyer, recommencer. Le beurre obtenu sent la violette ; les Égyptiens l’utilisaient ; l’iris devint la royale fleur de lys. C'est une des odeurs naturelles les plus statiques et intenses du plaisir olfactif. Ce parfum-là pourrait être une concrète, une étrange fleur cireuse qui fondrait très lentement entre les doigts en s’y appliquant comme un gant de peau très fin et velouté, à la fois mat et glissant, glissant le long du bras, gagnant l’épaule, le creux du cou, enserrant fermement la nuque pour obtenir l’attention de l'oreille et y chuchoter (...c’est un palais. C’est un fantôme de chair, silencieux en son fauteuil et je lui fais la lecture de toute mon imagination. C’est mon fantôme de chair, silencieux dans mon palais.)

Ou les gants d'un conservateur des manuscrits, tout imprégnés du parfum de la cire fleurie (encre, poudre et violette toujours) dont on nourrit chaque centimètre des boiseries, les grandes volées qui conduisent aux réserves, les tables d’étude, les portes et les fenêtres, leur antique pesanteur redoublée par le silence, y souriant comme un gentleman-cambrioleur aux correspondances sûres qui se sont établies entre le contenu des livres et la signature de l’air. L’air est à facettes, il est stupéfiant de ces trésors qui pulvérisent l’âme pleine de chagrin ou de certitude : trésor des longues fenaisons de juin qui déclinent la matière en silence et éclatent de joie lorsque le parfum de la flouve mûrissante justifie par l’absurde le labeur démesuré des hommes. Trésor de la vanille, la gousse et la fleur cireuse devenues une unique goutte à la commissure des lèvres cependant qu’un rideau de poudre d’iris ferme la pièce sur l’intimité, la réminiscence épidermique de la caresse, comme se refermerait un monolithe.

* un parfum par Pierre Bourdon

 

 

 

 

 

Pyxide promise pyxide due.
Modeste ou de démesure ?
D’os ou chryséléphantine ?
C’est une petite boîte toscane
remplie de concrète au tabac et à la vanille.
J’aurais dit merci,
avec des volutes antiques et des accents graves
au bout de la langue.

 

 

 

 


Premier Vaisseau *

Le beau parfum que voilà. D’abord quelques mots en guise de repères olfactifs pour lancer des échelles rudimentaires entre les rives de l’indicible qui courent le long du nez et le continent magmatique du dessus : la tête. En tête, des notes de fleurs blanches diaprées de thym noir et de poivre. Cœur : bois de rose, fève tonka. Fond : cèdre et santal ; voilà le cadre dans lequel on voudrait que chaque homme qui porterait ce parfum trouvât à s’incarner, cadre rigoureusement classique au même titre que la moindre page d’un livre de gravures anciennes, mais alors, pour moi, celles de L’herbier des dunes et toutes les « images » rapportées de la circumnavigation de Duperrey et Dumont d’Urville, parce que les embruns du récit apporteraient une très intéressante note saline, en une sorte d’allusion persistante et énigmatique quand le cèdre a tout de suite un poids d’une sagesse reconnue, rassurante. Une odeur de roche couverte d’algues où parfois se fracassent les bois des embarcadères arrachés une nuit de tempête, les tonneaux répandus d’un naufrage, une odeur très proche du goût mais qui s’évanouirait et que l’on chercherait alors éperdument à saisir à nouveau pour ce que sa puissance, capricieuse à se donner ou aveugle et déferlant sur nous, recèle de vérité sur la vie. Une note disparate heureusement prise dans les mots se souviendrait-on, dans les embruns du récit aux confins océaniques, que l’on reprendrait encore et encore. En finit-on de ces voyages accomplis dans un passé mythique où le danger infini des vastes océans et des espaces inconnus reposait dans la poigne solide des êtres braves – par conviction ou par nécessité d’ailleurs. Les équipages des fortunes, les conquêtes, mais les conquêtes de quoi donc déjà ? Et que leur était un parfum, alors ? La combinaison de deux ou trois essences sur une île lointaine. Une perception fulgurante de la beauté comme le fut celle des tatouages bleus des femmes polynésiennes. Inoubliable. Indéchiffrable. Mais tout savant mélange simple enrichissait l’alphabet intime de leurs sensations, trop peu hélas et l’esprit incapable de composer avec ces nouvelles notes trop brèves les ramenait peut-être par vagues olfactives à leur terre familière. La tubéreuse ou la tiaré tahiti étaient peut-être tantôt l’accomplissement fugace d’une quête dont ils étaient loin d’avoir tous de sa portée une claire conscience ou bien la quintessence édénique du lilas blanc chauffé au soleil des ardoises de leurs maisons, la giroflée en cascade penchée sur leurs bassins, les pommiers en fleurs à perte de vue sur les collines où de partout, de partout l’on voyait la mer. Partiraient-ils encore, s’ils savaient ? Nous partirions plus que jamais, s‘il était encore possible.

*… est un parfum qui n’existe pas

 

 

 

 

 

Pour parvenir jusqu’à son nez il faut dire
         the days of Pearly Spencer *
la plateforme de bitume sous le soleil
les containers à déchets, tout un travail saoulant
mauvais contre les démiurges les au suivant au suivant
et sa face frustre et ses frusques mais – sauvé ! –
orangé dans les déchets verts voilà qu’il saute,
et avec la fourche… Le soleil crame pour lui les récréments
douceâtres chlorure éthylique, arsenic et menstrues
mais des cadavres de toutes choses défaites il reste
toujours un parfum. Ce sera moi,
souriante parmi les charognes mécaniques.
Il serait Léon, j’apporterais mes ronces.
Sous mon chapeau je sens bon et j’ai les pieds sales,
il le sait car il est timide, il regarde mes pieds.
Je suis chez moi,
je suis à vous.

* David McWilliams

 

 

 

 

 

I *
C’est en cuisine qu’il se trouve
un parfum d’huile en de précieuses jarres
[l’adjectif pour qu’elles soient brisées]
le parfum répandu en quantité.
Désœuvré dans l'instant se rappeler par le plaisir lancinant,
à la leçon de l’abondance
— sa manière dure.

II
Non pas un talc où il fait bon tremper ses mains,
ce parfum est un suint de récoltes grasses
brodées d’initiales quand
on sent trembler la terre
sous la noria des moulins
écrasant les noisettes fraîches.
Le futur est dans le silence.

III
Baroque d’or en feuilles
soulevées au moindre souffle d’air
des palmes farineuses.
Dans le lait point l’envie, perce le désir.

IV
Puis si vient un talc hésitant
à la caresse, éviter un temps
le contact ; chantourner,
mûrir ;
sous bec rapace
à lui s’ouvrir comme un fruit de lin blanc.

* Un Bois Farine, J-C Ellena

 

 

 

 

Dans le sillage de l’écrasée mécanique,
les fenouils des bords des routes
exhalent un parfum de poivre noir.
Crier sa question, chanter, garder haut le cap.
À minuit encore en terme quantique
poivre noir et fenouil au silence s’ajoutent.

 

 

 

 

 

Dianthus nocturne (à Y.)

Il y avait dans ton enfance de ces mélanges
des œillets gris clair et chair couvrant la terre
dont le parfum recherché montait le soir jusqu’à ta tête
sans cesse poursuivie par des lettres à l’immortalité
       (comme Ys est le nom de celle
armoriée sous la surface de la mer),
mais bien moins capricieuses à se donner
que celles entrevues au fond du livre refermé.

 

 

 

 

Elle parlait en cachette à ses robes
serrées dans une armoire noire
au mur d’une chambre vide,
le nez muet.
Elle s’étouffa d’une perle en suçant son collier.

Fleurit un parfum de muguet des forêts quand
trois tulipes mauves pâlissaient dans un vase.

 

 

 

Je fus enfant

Je fus enfant né dans l’Empire et dans l’ombre
d’une femme heureuse, nichée dans ses étoffes
vertes, soies indiennes, tussores à grain vivant,
tissées aux racines du vent disait-elle,
fourrées de fleurs, d’oranger, d’oiseaux
et d’autres pailles dorées attrapées en chemin.

Mais dans vos étoffes violettes froissées de
vert sombre ma savante Néroli,
la nuit, savante Princesse, moi,
la nuit, je vous rêvais nue.

 

 

 

 

 

Un homme marche

Un homme marche dans une forêt d’eucalyptus.
Juillet distille un air brûlant et une ombre de cire,
bleue pâle. Le ciel est comme un grand pot
de calcédoine renversé. Les troncs pèlent
en feuillards de cuivre, en vélins desséchés.
La forêt est en bel ordre tombant,
poudré de mica bleu, un grand désordre
liquoreux au fond d’un verre.

Toujours ce goût, le parfum d’une femme
trempée près d’un grand feu ;
et l’homme touche à l’extase,
l’extase de juillet.

 

 

 

 

 

Et, déraison

Il cultiva en pot : un caféier, du gingembre, des cosmos chocolat et le pavot bleu, l’oiseau du paradis, un taro de Chine, une vanille et une vanda, du coton et toutes sortes d’agrumes. En tiges maigrelettes, en feuilles jaunies, stériles ; tout végétait et crevait bientôt. Mais il voulait pour lui la preuve de la variété et de l’étrange, dompter l’exubérance. Il enviait l’ailleurs, j’aimais Cologne bigarade* et La nuit du citron musqué**, nous nous en sommes détesté avec violente raison presque jusqu’à la fin.

* Jean-Claude Ellena ** Mario Avati

 
Chronique des jours-échelle