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18/12/2018

Apollinaire, sans prix

Ils auraient traversé les prés
et j’en sais pourtant si peu.
Le paysage parle
des oréades en présence d’autres ombres,
leurs foulées en tout sens
[dans la trace de l’écrasée de cochenilles
sur les plateaux de manganèse
s’élevait déjà un parfum de terre et de bronze]
seuls ils avaient de quoi rire, pleurer,
jusque dans les abois désirés
puis encore consentis où la légende s’inspirait
au poison pur.
Invisible changée de nature,
pauvres colchiques, hauts poisons à fleur
mineure
[j’aime à me rappeler la boitante et lointaine Asie]
traquée, rabattue
aux flancs encore un peu vivants des montagnes.
Ici un dernier beau frisson aux prés humides
fut
les pures amours vénéneuses d’Apollinaire.
Je n’ai pas dit que les prés aux colchiques
avaient existé pour moi, c’était plutôt constamment
une eau verte [ainsi, je me rassurais]
fendue d’éclats [tel est mon œil]
de foudre violette
à la tête réduite
étranglée à l’image d’une torture
suivie de mille
mêmes petites têtes éplorées,
chacune pincée sur un écorchement de toute beauté.
Hélas, cette blancheur nacrée quoi d’autre
qu’un tendon lisse
cet effroi
j’en accuse mon œil, ma pauvreté.
Reste encore aujourd’hui de la foulée éteinte
une longue fibre nacrée bandant un appel
lancinant et fabuleux
répété en une danse à nu primitive
[prises de passion émeraude
ou muettes en vert songe
complicité de l’herbe grasse, des rosées
selon la déclinaison hallucinée du thème]
comme un reproche extrême
qui nous parvient enfin
quand la tête incline à la terre.
Au pré il reste maintenant le choix du cilice
l’aise les pieds nus cette flamme puis
la distribution des petits cormes dans la terre
refroidie brûlée à toute volée
[la sage sur sa pelisse imaginaire regarde
se soulever le monde en lambeaux]
à moi les odeurs et les sons dans l’enclave
fleurie de poèmes à un exemplaire
comme le kyphi d’hiver
aimé, l’âme trouvée à la mienne
pauvre renouvelée
dont on brûlera les os sans savoir.

Reste Apollinaire, sans prix.

 
Chronique des jours-échelle